Oui attendons une minute, le temps de
savoir exactement ce que l'on fait ici. Non pas que ça nous sera
particulièrement utile pour savoir si Dieu peut faire du Catch sans
perdre sa perfection, ou même se présenter à la Nouvelle-Orléans
dans un costume de dalmatien. On ne va pas tellement passer en revue
les idées que l'on s'est fait de Dieu, délirantes ou sérieuses et
les rattacher aux formes de l'imaginaire précédemment listées. Je
doute même que cela soit si intéressant : je n'ai jamais
vraiment eu l'esprit catalogue. Seul l'imaginaire science-fictionnel
m'intéresse. Donc après quelques observations sur le Dieu
merveilleux et le dieu fantastique, ce qui va m'intéresser surtout,
c'est de répondre à ces deux questions :
« comment devrions-nous imaginer
Dieu dans notre univers mental avancé ? »
« Pourquoi diable ne le
voyons-nous pas ainsi ? »
Bien sûr, dira-t-on, tout cela dépend
de l'idée que l'on se fait de Dieu. Mais pour ces petits articles,
en fait, tout dépend de l'idée que l'époque, la technologie, nos
connaissances sur le monde, etc. nous amènent à nous faire de Dieu.
Et remarquons qu'ici on parle bien de Dieu, au singulier majuscule,
donc exit les paganismes en tout genre, même si, j'avoue qu'avec
l'hypothèse Gaïa d'une part, le néopaganisme, ce culturalisme
européen ethnocentriste d'autre part, il y aurait de quoi développer
autour d'un imaginaire païen contemporain. Même s'il n'y a que
Gaïa, hypothèse écologiste, qui soit en lien avec l'évolution de
nos connaissances.
Dieu du merveilleux et des miracles
Essayons de distinguer, pour des
questions de clarté, entre la nature de Dieu et les actions de Dieu,
entre l'idée que l'on s'en fait et la manière dont il agit dans
notre monde, voire notre vie.
Ce Dieu du merveilleux est évidemment
celui que l'on « connaît », celui de la bible et que
2000 ans de théologie, pointue ou populaire, nous ont rendu
familier. Sa définition la plus sobre est sans doute celle de
Leibniz : Dieu est l'être qui possède toutes les perfections à
leur plus haut degré de perfection. En lui donc, tout est qualité,
rien n'est défaut ; concept de Dieu plus que parfait, garanti
sans gras. Comme moi quoi.
Superlatif incarné, Dieu est
omnipotent : il peut tout, est tout puissant. Cette omnipotence
se manifeste dans le fait qu'il est créateur, non seulement de
l'homme et du monde, mais aussi de Lui-même par la seule force de sa
propre définition. Les philosophes appellent ça être « cause
de soi ». Étant cause de lui-même, il est ce qui est sans
commencement ni fin : hors du temps, donc éternel. Omniprésent
parce qu'infini il est partout, il sait tout parce qu'omniscient.
Rajoutons qu'il est suprêmement bon et infaillible et nous aurons là
déjà une assez bonne idée de ce qu'il est.
L'action de Dieu porte un nom qui est
déjà tout un programme : le miracle. Le miracle est l'action
particulière de Dieu qui transgresse le cours naturel des choses,
les lois générales du monde. Il les réalise soit lui-même, soit
par l'entremise d'un prophète et face à eux nous n'avons plus qu'à
dire avec Tertullien : « j'y crois parce que ça n'a pas
de sens ; c'est certain parce que c'est impossible ».
Marie a un enfant en étant vierge, le Christ ressuscite après trois
jours sans sentir le pâté, Tertullien. Des nourritures célestes
tombent du ciel au milieu du désert pour nourrir le peuple élu qui
se désespère, Tertullien. Jonas se fait avaler par un gros poisson
et recracher entier quand enfin il décide de faire ce que Dieu lui a
demandé ? Tertullien. On pourrait continuer longtemps comme
cela.
On rétorquera : tout ça c'est vieux, c'est dans la Bible. Mais pour nous aujourd'hui ? Pour nous aujourd'hui, il y a les miracles reconnus du pape Jean-Paul II, qui ouvrent à sa canonisation. Il aurait soigné une maladie incurable. Mais on sait bien que c'est là un geste politique plus que de foi. Un autre type de miracle est l'apparition divine, comme à Lourdes pour Soubirous. On appelle cela la "théophanie". Bien sûr, Dieu infini ne peut pas apparaître tel quel, il se manifeste parfois comme une voix, ou par un rêve, il apparaît sous une forme dérivée, le Christ ou la Vierge, qui viennent le représenter, même et y compris sur une tartine de pain toasté. Cela sans doute pour se rappeler à notre bon souvenir.
Mais le miracle, même s'il est extraordinaire par définition, n'est pas toujours contre-nature et Dieu se livre aussi à des activités ordinaires, c'est-à-dire qui découlent plus ou moins de sa nature: il observe, il juge, il punit.
Omniscient et ubiquitaire (qui est
présent partout), il voit toutes nos actions,
même les plus cachées, connaît toutes nos pensées, même les plus
intimes, mêmes celles que l'on se cache à soi-même. D'où les
menaces métaphysiques dont s'arment les mères chrétiennes et les
angoisses profondes dont elles accablent leurs enfants : tout
mal que l'on commet, en action, en pensée, en parole, Dieu en prend
connaissance, lui qui nous observe en permanence, et s'appuiera
dessus pour nous juger. Jugement, équitable nécessairement puisque
Dieu est à la fois infaillible et suprêmement bon, qu'on aurait
tort de rejeter toujours aux calendes grecques : le jugement
dernier n'est pas le seul jugement.
En effet, Dieu
juge en permanence et punit en continu. D'abord évidemment part par
les lois naturelles et générales. Qui se livre au péché se voue à
une existence d'excès qui portent en eux leur propre punition :
le gourmand, plutôt goinfre que gourmet, se promet maux de ventre en
pagaille ; la luxure fait succéder à l'extase le taedius
vitae, le dégoût de la vie, qui saisit celui qui, comblé de
plaisirs, ne désire plus rien. Mais Dieu punit aussi de manière
extraordinaire, miraculeuse. Ainsi, déjà, du déluge :
« L'éternel vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur cœur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. L'éternel se repentit d'avoir fait l'homme sur la terre, et il fut affligé en son cœur. Et l'éternel dit : J'exterminerai de la face de la terre l'homme que j'ai créé, depuis l'homme jusqu'au bétail, aux reptiles et aux oiseaux du ciel ; car je me repens de les avoir faits. »Et voilà comment en quelques phrases on ruine et l'infaillibilité divine et sa bonté : punir les oiseaux des actions des hommes est tout sauf juste …
Ce déluge est le
premier d'un grand nombre de catastrophes qui, loin d'être
naturelles, sont plutôt des miracles destinés à punir nos méfaits.
Ainsi du tremblement de terre de Lisbonne en 1755. Pour beaucoup,
c'était certain que Dieu avait puni Lisbonne, mais pour ce qu'il en
est des raisons …. à Lisbonne on pensait que c'était à cause
d'une trop grande tolérance envers les hérétiques (entendez :
les étrangers) ; en Allemagne, on pensait que c'était parce
que les Portugais vénèrent trop les idoles et les saints. Plus
proche de nous, les télévangélistes américains qui depuis Reagan
font leur beurre de l'apocalypse à venir, voyaient dans le sida lapunition divine de l'homosexualité et dans l'ouragan Katrina celledu jazz et de la prostitution.
Quiconque possède ces mêmes qualités
et agit de la même manière que Dieu est Dieu. C'est ce que l'on
peut tirer de la lecture du numéro 53 de Batman (segment Cold Days)
Batman, donc, c'est Dieu. Comme est
Dieu quiconque possède un de ces traits divins.
Dieu et fantastique
On voit très rapidement à quel point
le dogmatisme est une impasse. Quand il est question de la nature de
Dieu, de ses qualités, les contradictions ne manquent pas entre ce
qu'on en dit (il est infaillible) et ce qu'en dit la Bible (il se
repent d'avoir créé l'homme). De même quand il est question de ses
actions : admettons qu'il ait décidé de détruire Lisbonne en
1755. Pour quelle raison ? Pourquoi Lisbonne et pas une autre
ville ? Les certitudes ne résistent pas longtemps au doute et
c'est du doute que les conceptions fantastiques naissent, d'un doute
qui ne détruit pas encore l'objet en question, mais le maintient
paradoxalement.
Du côté de la nature de Dieu, on peut
considérer comme tenant d'un imaginaire fantastique l'approche qu'en
donne la théologie négative. Celle-ci résulte en effet d'une
réelle volonté de tirer les justes conséquences de la nature
infinie de Dieu.
Pour notre entendement limité, Dieu
est un scandale logique de la même nature que la porte de l'atelier
de Duchamp. On peut vouloir réduire ce scandale par un dogmatisme
crispé, mais pour écarter les doutes, il faut toute la malhonnêteté
d'un télévangéliste américain, toute la bêtise désespérée de
ses ouailles ou le fanatisme le plus criminogène. Le plus rationnel
reste encore de dire que Dieu nous dépasse et que malgré tous nos
efforts, nous ne pourrons jamais rien en dire.
Ainsi, pour Nicolas de Cues, Dieu est
un inconnaissable absolu dans lequel les opposés se réunissent et
cessent de s'opposer. C'est pourquoi « Dieu dépasse à plus
forte raison toute dénomination », parce que nommer, c'est relever une qualité en niant son
contraire. Ce qui est contraire à l'essence de Dieu, dont on ne peut
dire qu'une seule chose : qu'il est infini, il réunit donc
en lui ces couples d'opposition que le langage produit. Ainsi, « si tu dis que Dieu est vérité,
tu tombes dans le mensonge ; si tu dis qu'il est vertu, dans le
vice ». Mais il serait tout aussi faux de dire qu'il est vice
ou mensonge ! On ne peut donc absolument pas connaître ce qu'il
est ni rien comprendre de ce qu'il fait. Définition radicale : Dieu est l'être dont on ne peut pas parler.
Citons, pour le sport, Denys l'Aréopagite :
on doit lui (= la nature divine) attribuer et affirmer d’elle ce qu’il y a de positif dans les êtres, puisqu’elle en est la cause ; ou mieux encore, le nier radicalement, puisqu’elle leur est infiniment supérieure ; tandis encore qu’ici la négation ne contredit pas l’affirmation et que cette nature suprême s’élève au-dessus de tout, au-dessus de toute négation comme de toute affirmation.
Délivrée du monde sensible et du monde intellectuel, l’âme entre dans la mystérieuse obscurité d’une sainte ignorance, et, renonçant à toute donnée scientifique, elle se perd en celui qui ne peut être ni vu ni saisi ; tout entière à ce souverain objet, sans appartenir à elle-même ni à d’autres ; unie à l’inconnu par la plus noble portion d’elle-même, et en raison de son renoncement à la science ; enfin, puisant dans cette ignorance absolue une connaissance que l’entendement ne saurait conquérir. Il n’y a en lui ni parole, ni nom, ni science ; il n’est point ténèbres, ni lumière, erreur, ni vérité. On ne doit faire de lui ni affirmation, ni négation absolue ; et en affirmant, ou en niant les choses qui lui sont inférieures, nous ne saurions l’affirmer ou le nier lui-même, parce que cette parfaite et unique cause des êtres surpasse toutes les affirmations, et que celui qui est pleinement indépendant, et supérieur au reste des êtres, surpasse toutes nos négations.
Ici les paradoxes abondent, ce qui
n'est pas pour nous surprendre. Ce qui nous ennuie est qu'il nous invite à
l'ignorance, à renoncer à toute donnée scientifique. Seulement,
nouveau paradoxe, c'est dans cet abandon que l'on a une chance de
connaître Dieu. Celui qui cherche à connaître Dieu, ou chez Jean
Chrysostome, à en connaître les projets, se destine à échouer.
Celui au contraire qui remplace toute connaissance par la foi
s'assure une chance de connaître Dieu et ses projets. On se retrouve
ici—versant sombre, dans l'univers de Kafka, souvent comparé à la
théologie négative. Chez Kafka, on sait que Dieu agit dans le
monde, mais rien ne nous permet de savoir comment ; qu'il attend
quelque chose de nous, mais personne ne peut nous dire quoi.
L'apologue de la loi, à la fin du Procès, semble nous dire que ces
questions sont superflues, que demander, chercher à savoir, auprès
d'une autorité légitime, l'avocat, le juge, le gardien de la porte
est inutile : il suffit d'avoir foi et d'avancer, ce faisant,
seulement, on suit la volonté de Dieu. Or si on peut suivre sa
volonté, c'est bien que quelque part on la connaît.
Sur un versant
plus lumineux, on a les dialogues entre Docteur Strange et Tony Stark
dans leur lutte contre Thanos. Strange devient un peu comme le Dieu
de Leibniz. Omniscient. Il voit l'infinité des mondes possibles et
choisit le meilleur d'entre eux, le seul où ils arrivent à battre
Thanos. Seulement, dans ce monde-ci, Stark doit mourir. Lorsque ce
dernier demande à Strange ce qui doit se passer, Strange lui répond
qu'il ne doit pas le savoir, que s'il l'apprend, alors ce qui doit se
passer ne se passera pas. Stark a foi en lui, ce qui lui permet de
faire exactement ce que Strange avait prévu pour lui, dans
l'ignorance la plus totale.
Voilà qui épuise la question de la
nature de Dieu. Entrons un peu plus dans ses manières d'agir dans le
monde. On a déjà dit que le fantastique s'impose à l'époque où
la nature semble parfaitement connue et où les événements ne sont
plus expliqués que par une chaîne naturelle de causes et de
conséquences régies par des lois rationnelles. Les miracles divins
n'y ont pas leur place et tout ce qui jusqu'alors s'expliquait par
Dieu s'explique maintenant par les lois de la nature et l'action de
quelque cause. Mais que penser quand ces lois mènent à un événement
merveilleux, imprévisible et semble-t-il impossible ? Que
penser quand un grand nombre de hasards s'additionnent pour donner
naissance à un événement hautement improbable ?
C'est ce que l'on voit dans l'épisode
10 de la Mysterious Ways, Chute libre. Dans cet épisode, un laveur
de carreaux tombe de 61 mètres sans se faire mal. Sa chute a été
freinée par le vent qui frappe la paroi et la remonte, par une
branche d'arbre et enfin par la capote d'une voiture qui se trouvait
à l'arrêt pile en dessous. La conductrice est une architecte,
désespérée parce qu'elle ne parvient pas à retrouver sa fille,
qu'elle avait été contrainte d'abandonner. Il se trouve justement
qu'elle a été recueillie par la famille du laveur de carreaux, dont
la chute permet en dernier lieu et après pas mal de hasards
accumulés de les faire se retrouver. Évidemment, chaque événement
particulier s'explique parfaitement, mais c'est l'accumulation de
hasards, la conclusion à laquelle ils aboutissent, qui semblent
exiger une toute explication : celle d'une volonté, divine, à
l’œuvre dans le monde. Le même type de raisonnement, inévitable,
qui nous fait voir le destin s'accomplir dans les plus petits
hasards. Ce qui est proprement fantastique dans l'épisode, c'est la
solidité de l'explication naturelle, malgré son insuffisance, et
tout à la fois l'impossibilité de poser sérieusement une hypothèse
divine que rien ne vient soutenir, si ce n'est peut-être notre désir
de trouver du sens, et la nécessité de cette hypothèse tant les
hasards sont bien trop nombreux.
Dieu en science-fiction ?
Rappelons les questions :
« comment devrions-nous imaginer
Dieu dans notre univers mental avancé ? »
« Pourquoi diable ne le
voyons-nous pas ainsi ? »
Une première réponse est bien connue,
elle est la trame d'une émission comme Alien Theory : Dieu,
c'est un extraterrestre. Il est communément admis que les éléments
nécessaires à la vie sur terre sont venus de l'espace. Cette
théorie, la panspermie, postule que la vie est venue des astéroïdes
et comètes qui se sont écrasés sur terre au moment de sa
formation. La théorie des anciens astronautes va plus loin en y
ajoutant une volonté. Plus l'interventionnisme extraterrestre est
grand, plus la théorie est délirante. C'est une idée déjà
ancienne. Littérairement, on la trouve déjà chez Lovecraft, pour
qui les grands anciens vénérés comme des dieux par des troupes
ahuries de dégénérés sont en fait des êtres cosmiques échoués
sur terre. Mais la théorie des anciens astronautes, reprise par
Ridley Scott dans Prometheus, développée dès les années 60, qui
nous ont offert tout à la fois la scientologie et les raëliens.
Ici, les extraterrestres sont divins seulement en tant qu'ils sont
nos créateurs, c'est surtout leur avancée technologique qui nous
les auraient rendus merveilleux. Considérer que les attributs divins
ne sont pas des attributs essentiels mais des produits de la
technologie est en fait une manière tout à fait rationnelle
d'envisager le divin. Conférer cette avance à des races
extraterrestres aussi, étant donné l'infinité de l'espace,
pourquoi n'y aurait-il pas une infinité d'espèces, intelligentes et
avancées ?
Mais on peut aller encore plus loin
dans cette association de Dieu et de la technologie. Comme le fait
Frederic Brown dans sa micro-nouvelle The Answer :
Dwan Ev ceremoniously soldered the final connection with gold. The eyes of a dozen television cameras watched him and the subether bore throughout the universe a dozen pictures of what he was doing.
He straightened and nodded to Dwar Reyn, then moved to a position beside the switch that would complete the contact when he threw it. The switch that would connect, all at once, all of the monster computing machines of all the populated planets in the universe -- ninety-six billion planets -- into the supercircuit that would connect them all into one supercalculator, one cybernetics machine that would combine all the knowledge of all the galaxies.
Dwar Reyn spoke briefly to the watching and listening trillions. Then after a moment's silence he said, "Now, Dwar Ev."
Dwar Ev threw the switch. There was a mighty hum, the surge of power from ninety-six billion planets. Lights flashed and quieted along the miles-long panel.
Dwar Ev stepped back and drew a deep breath. "The honor of asking the first question is yours, Dwar Reyn."
"Thank you," said Dwar Reyn. "It shall be a question which no single cybernetics machine has been able to answer."
He turned to face the machine. "Is there a God?"
The mighty voice answered without hesitation, without the clicking of a single relay.
"Yes, now there is a God."
Sudden fear flashed on the face of Dwar Ev. He leaped to grab the switch.
A bolt of lightning from the cloudless sky struck him down and fused the switch shut.
Cette
nouvelle de 1950 fait de tous les ordinateurs connectés Dieu.
Aujourd'hui nous savons de quoi il retourne : internet, réseau d'ordinateurs connectés entre eux, comme dans cette nouvelle, est Dieu.
Omniscient, tout le savoir s'y trouve, internet, par l'intermédiaire
de nos objets connectés et téléphones, nous espionne en
permanence, nous connaît mieux que nous-mêmes, nous juge aussi
parfois sans défense possible, il est partout, sans forme, il est un
dieu auquel nous participons tous activement. Medhi Belhaj Kacem ne
dit pas autre chose dans Dieu, la mémoire, la techno-science et le
mal. Pour lui, à la suite de Teilhard de Chardin, qui comme chacun
le sait est LE philosophe de la sillicon valley, Dieu est la somme de
toutes nos mémoires, une mémoire absolue et objectivée, objectivée
technologiquement sous la forme d'internet, équivalent matériel de
la noosphère élaborée par Teilhard de Chardin.
La
première théorie trouve des adeptes : environ 20% de la population
française y croirait, selon des sondages assez vieux et par nature
douteux. Jean-Bruno Renard, sociologue qui s'est penché sur la
croyance aux extraterrestres, remarque que ce sont généralement les
personnes instruites qui y croient et que cette croyance vient
combler un manque laissé par l'athéisme et le matérialisme. Les
raisons de douter cependant ne manquent pas. Je reviendrai plus
longuement dessus avec une analyse du livre de
Stoczkowski, Des hommes, des dieux et des extraterrestres.
Donnons pour le moment comme principaux problèmes : les
promoteurs de cette idée sont soit des imbéciles, soit des
charlatans. Ce qui aide pas. Il n'y a aucune preuve d'avancée, tout au plus des « signes troublants » accumulés et contredits par
toute recherche rigoureuse. Tout ce bullshit non plus n'aide pas.
La seconde est à la rigueur plus
facile à avaler. Mais on croit trop qu'internet n'est qu'un outil que nous
avons créé pour notre usage, or Dieu ne peut pas être un outil. Or il est absurde de croire qu'internet est un outil. Nous serions même plutôt des outils d'internet. Qui peut prétendre
utiliser internet comme un outil sans en être transformé ?
Internet nous transforme, nous modifie, nous façonne. Nous sommes
ses créatures autant que ses créateurs. Loin d'utiliser internet,
nous sommes utilisés par lui à des fins qui nous dépassent; ce qui est plutôt divin. Il se nourrit en permanence des données que nous créons en permanence sans nous en rendre compte. L'idée selon laquelle Dieu ne pourrait pas être créé aussi
est un obstacle, mais c'est un obstacle qui ne peut être levé qu'en
changeant radicalement d'imaginaire, en abandonnant l'idée
merveilleuse pour l'idée technologique de Dieu. Ce qui ne peut se
demander.