mercredi 25 septembre 2019

Radicalité 4 : la radicalité en pratique


Je peux être content. J'ai forgé un beau concept de radicalité. Mais il ne suffit pas qu'il soit beau, et utile et clair comme on l'a vu ; il faut encore qu'il puisse être appliqué à la réalité et cette belle théorie de la radicalité, encore sommaire, mais j'espère convaincante, doit se doubler d'une approche pratique. Pas juste une application de la théorie à la réalité. Mais une observation de ce qu'est la radicalité en pratique pour voir l'écart ou l'accord qui peut exister entre elle et la théorie. Pour cette série d'articles, je me contenterai de suivre le propos tenu lors de la conférence ; mais par la suite, en lien aussi avec ce que j'ai écrit sur la convergence des luttes, cela servira à lire les radicalités présentes.

Comment définir la radicalité dans la pratique ?
Rappelons-le : elle n'est pas une population, pas une série d'actions, pas des paroles, etc. Il n'est même pas certain qu'on puisse simplement la réduire à de simples idées. Lors de la conférence, je proposais une sorte de bourdieusisme simplifié, qui consistait à dire que la radicalité se présente pratiquement comme « une position fortement polarisée dans un champ ». Ce qui oblige à dire rapidement ce qu'est un champ, ce qu'est une position. Ce qui oblige à montrer comment ce champ se polarise.


La clé des Champs

Disons qu'il y a deux manières d'envisager la société. Comme un ensemble d'individus libres, qui développent librement leurs idées, leurs désirs, leurs projets ; la société serait le résultat d'ensemble de toutes ces démarches individuelles. En ce sens, la société est ce qu'on en fait, ce qu'on participe à en faire. Mais c'est oublier trop vite que nous sommes avant tout ce que la société fait de nous. Nos idées, désirs et projets sont certes individuels, mais il se construisent à partir de la position que nous occupons dans la société, position qui nous préexiste et dépend de personne, qui est un pur effet de structure. Or on ne se place pas n'importe comment dans une structure. Chaque place est réservée à certains, interdite à d'autres. On peut comprendre la notion de Champ ainsi. De même que la limaille de fer ne se place pas n'importe où autour des deux pôles de l'aimant, mais s'organise en fonction du champ magnétique qui détermine quelles positions peuvent être occupées et quelles zones doivent rester vides, les individus, en fonction des oppositions qui parcourent la société et de leur place initiale au sein de cette dernière, vont s'orienter d'une certaine manière déterminée, prendre une position qui statistiquement était plus ou moins faite pour eux. C'est dire que la notion de champ est utile surtout pour décrire les oppositions, les lignes de tension qui traversent la société et les positions qu'il est possible de prendre relativement aux objets en débat. Bourdieu parle de « conflits de légitimité », et essaye de rendre compte dans ces conflits des raisons pour lesquelles untel va opter pour l'une des diverses positions en présence, en quoi elles prétendent toutes à une certaine légitimité, essaye d'expliquer ce qui fait que certains s'unissent parfois, ou cherchent à se distinguer.

Prenons comme exemple les cours au Collège de France réunis dans son Manet. Ils donnent une image très claire de ce qu'est un champ, appliqué au domaine de l'art. On voit en effet s'affronter au XIXe siècle l'académisme, peinture officielle, faite de normes, d'écoles, d'épreuves, de salons, déterminant une hiérarchie et une certaine idée du mérite et de la réussite, et les avant-gardes, qui refusent tout ce qui définit l'académisme et se revendiquent être la vraie peinture : celle qui invente les règles, laisse place à la subjectivité du peintre, s'autorise l'humour, le pastiche, l'irrévérence et la création d'un nouveau langage. Ce nouveau langage deviendra, après Manet et grâce à lui, l'impressionnisme. Il sera amené à renverser l'académisme. Mais pas tellement parce qu'il a plus raison, pas parce qu'il correspond à la vraie peinture, mais pour des raisons sociales, économiques, techniques, historiques.
À ce conflit prennent part des peintres, évidemment, mais aussi des journalistes, des écrivains, des collectionneurs, qui vont prendre plus ou moins parti pour ou contre, se situer diversement les uns par rapport aux autres et ainsi polariser le champ. À partir d'un conflit d'école, c'est toute la société qui de débat en scandale va s'orienter, se positionner, s'allier contre l'ennemi. Une position polarisée n'est ici rien d'autre que ce qui permet de structurer le champ, c'est une position opposée à d'autres positions exprimée autour d'une question et qui cherche à s'imposer comme légitime. On voit ainsi déjà que décrivant le champ, on s'interdit de juger les positions qui polarisent le champ, on se contente de reconnaître leur existence, de mesurer leur force, de lister, de classer les arguments en leur faveur, les actions menées en leur nom. Ce n'est qu'après éventuellement que l'on peut espérer pouvoir les juger (pertinence des arguments, conséquence des actions, solidité historique, etc.) mais les juger c'est déjà prendre part, or on prend part en situation, en fonction de sa place sociale. C'est à partir sa place qu'on se positionne ; juger ainsi n'est pas juger, c'est prêter allégeance.



Le champ de la radicalité

Simplifions encore. Le plus schématiquement possible, la radicalité n'est pas d'abord une position extrême dans un quelconque champ en tension, dans un quelconque problème névralgique en discussion. La radicalité se polarise elle-même, construit logiquement, mécaniquement, ses adversaires, ses divisions, ses tensions, si bien qu'il n'est pas interdit de penser qu'une même structure pourra être relevée dans chaque cas de radicalité, pour chaque position radicale quelle que soit la question en jeu. Ainsi, on peut construire dans l'abstrait un champ de la radicalité :

Radicalisme
Mal à extirper, à détruire

Réformisme
Imperfection à corriger

Conformisme
Tout est très bien

Ces trois positions se polarisent, se scindent, sont en tension, dès lors qu'il s'agit d'agir, de mettre, justement, la radicalité en pratique. Ce qui autorise des rapprochements entre les différentes positions, des glissements : entre action immédiate, progressive et réaction. Il y aura toujours très schématiquement au moins ces trois positions, qui se sécrètent les unes les autres.

Radicalisme
Mal à extirper, à détruire
Réformisme
Imperfection à corriger
Conformisme
Tout est très bien
Action immédiate,
radicale

Action progressive ou
mesurée
Réaction,
violente ou mesurée
Refus de prendre part

Ici, les catégories d'action sont plus mouvantes, dépendent des actions, de l'opinion publique, des personnes concernées et de la question qui est en jeu. Mais disons très schématiquement que les radicaux sont plus susceptibles d'une action immédiate (celle que l'on dit justement radicale) que les réformistes ou les conformistes. Mais le radicalisme agit aussi sur le temps long, opte aussi pour des démarches légales, vise aussi la transformation de la société et agit parfois de concert avec les réformistes. L'action radicale n'est pas fatalement immédiate et violente, elle vise juste à remonter à la racine du mal : parfois cela passe par des actions au long cours. Mais parfois les actions radicales vont échauder les réformistes qui seront alors tentés de délégitimer les radicaux : l'association avec les conformistes, pour périlleuse qu'elle soit, s'impose alors. Il suffit de voir les marches pour le climat : le cortège de tête se forme, la répression policière s'abat lourdement comme le couperet d'une guillotine sur tous les manifestants, sur les passants, etc. Mais c'est pas la police que certains accusent, mais le cortège de tête, affirmant qu'ils y réfléchirons à deux fois maintenant avant d'organiser des manifestations et qu'ils chercheront d'autres manières d'agir. La volonté d'une action modérée, le désespoir face à l'action radicale, forme bloc avec les position réactionnaires, qui défendent par nature l'ordre et le statu quo.
Mais on peut aller encore plus loin.

Radicalisme
Mal à extirper, à détruire
Réformisme
Imperfection à corriger
Conformisme
Tout est très bien
Action immédiate,
radicale

Action progressive ou
mesurée
Réaction,
violente ou mesurée
Refus de prendre part
Propagande par le fait (action individuelle non organisée )
Révolte
(action collective organisée et non finalisée)
Rejet du monde, fuite
Révolution
(action collective organisée et finalisée)
Subversion
(infiltration des structures en vue de les renverser)
Propagande par l'éducation,
presse

J'aurai aimé rendre ce tableau des actions radicales plus clair, mais difficile ici, sauf à photographier mes dessins préparatoires illisibles. Le souci c'est que ces actions peuvent, pour certaines, être utilisées par tous, ou se justifier sur cinq registres différents : le rejet du monde par exemple peut se faire au nom du radicalisme (rejet du capitalisme), comme propagande par le fait (faites comme moi), comme révolte (y en a marre!), comme réaction (vivre comme avant) ou comme refus de prendre part (qu'ils s’entre-tuent, pourvu qu'on me laisse tranquille). Pareil pour l'éducation : on parle bien de lepénisation des esprits, c'est bien que la propagande est aussi une arme réactionnaire. Pareil pour le coup de force : l'action individuelle non organisée et l'action collective organisée ne sont pas l'apanage des forces progressistes, on en sait quelque-chose.


La radicalité en pratique (l’État)

Glosons un peu sur chacun de ces types d'action.
Disons qu'on considère l’État. C'est pas la joie en ce moment on le voit : désengagement complet du social, destruction de tous les services publics, cadeaux fiscaux aux riches, répression policière violente et aveugle, arrestations sommaires, etc. Scandale évidemment. Oui, mais que faire ?

Renforcer le pouvoir de l’État, de la police et lui donner des outils répressifs et préventifs pour lutter contre la radicalité. Position conformiste (c'est déjà ce qu'on fait depuis un moment, ça s'est accéléré depuis 2015) ou réactionnaire (à entendre ici en réaction à ce qui se passe pour maintenir les choses en l'état). Les partis de l'ordre marchent sur des œufs entre critique du gouvernement en place, condamnation des violences et défense de l'action policière. Wauquiez (LR) dit sobrement que le gouvernement doit se donner les moyens d'agir, Bardella (RN) que le gouvernement laisse volontairement les black blocs discréditer le mouvement écolo et des gilets jaunes.
On peut aussi estimer que le problème n'est pas la violence des émeutiers, mais, profondément, l’État. On pourra dire alors avec Bakounine : « l’État, c'est le mal ». Un mal historiquement nécessaire ajoutait-il, aussi nécessaire que le sera sa destruction. On sera anarchiste. C'est une position radicale. Notons que les marxistes aussi veulent abolir l’État. Ce dernier est pour eux l'outil de pouvoir de la classe dominante et abolir les classes doit amener à la suppression de son outil de domination : l’État. Marx remarque que le prolétariat ne peut pas se contenter de prendre l’État pour lui faire servir ses propres intérêts de classe. Déjà parce que l’État en lui-même est bourgeois, il faut donc d'abord le transformer intégralement, afin qu'il cesse de servir les intérêts de la classe dominante (ce qu'ils semble bien faire en ce moment). C'est ça la « dictature du prolétariat » qui fait tant trembler dans les chaumières : la transformation de l’État de telle sorte à ce qu'il détruise les avantages indus et rétablisse une parfaite équité dans la société. Ensuite parce que le but n'est pas d'avoir le pouvoir, mais de détruire le pouvoir. L’État n'est pas pour le marxiste la racine du mal, qui serait plutôt la domination de classe, mais il est bien le mal le plus grand.
Les réformistes, eux, ne veulent pas supprimer l’État, mais l'améliorer. L'idée étant que les problèmes rencontrés ne sont pas l'effet d'une nature immuable et mauvaise de l’État, comme outil de domination ou mal historique, mais simplement le contrecoup de sa mauvaise gestion ou organisation. Qui peuvent être traités par la réforme. Dans la pratique la question n'est pas tellement de savoir s'ils ont raison que de voir à quoi servent leurs discours : dans la mesure où tous les appels à une VIe République sont sans effet, ils ne servent qu'à détruire les services publics, à renforcer le pouvoir coercitif, à jeter dans la plus grande misère une masse toujours plus importante de citoyens.
Ah, c'est donc qu'il faut combattre ! Oui d'accord, mais comment ? Nouvelles tensions, nouvelles fractures. Laissons de côté le camp de la réaction pour envisager juste le camp radical.
Certains voudront une action immédiate. Loin de s'entendre entre eux, ils vont se répartir et s'opposer. Les uns seront partisans d'une révolution immédiate, mais en dehors de conditions historiques particulières, ce n'est qu'un rêve. L'action stratégique, collective et violente ne se décrète pas. D'autres d'actions insurrectionnelles, faites de révoltes sporadiques, d'émeutes. Le but étant d'épuiser l’État, de mobiliser une part toujours plus grande de la population dans les mouvements radicaux. C'est le cortège de tête, fait de techniques du black bloc et de slogans populaires ; qui ne fait pas l'unanimité (j'ai connu des mecs de Lutte Ouvrière, marxistes, qui grinçaient des dents face à cet anarchisme) mais s'avère en partie payant. D'autres préféreront peut-être une action violente et immédiate, plus solitaire : l'attentat. C'est la grande peur en ce moment, que la lutte écologique se radicalise au point que des actions écoterroristes soient menées dans le pays. Notez que c'est une raisons invoquées pour justifier la tuerie d'El Paso. Au XIXe siècle on appelait ça la propagande par le fait. On volait pour militer contre la propriété privée, fomentait des attentats contre les élus pour lutter contre l’État et contre le capitalisme, les journaux anarchistes dressaient des listes de grands patrons à abattre (on le voit, on est loin de El Paso, dont le tireur a essayé de verdir son racisme). Tout ça a été balayé à l'époque par les lois scélérates, mais la vogue de la désobéissance civile est une forme de propagande par le fait : enfreindre une loi pour en montrer le caractère arbitraire et injuste, comme aider les réfugiés, entre dans ce cadre. Certains encore vont simplement préférer partir, tout quitter pour construire de nouveaux rapports humains ailleurs. Eric Dupin nous en offre quelques exemples dans son livre Les Défricheurs. Ce dernier mode consiste à montrer que l'on vit mieux sans l'Etat, en s'éloignant le plus possible des institutions et en menant une vie en marge. Ce qui n'a jamais réellement marché à lire les témoignages recueillis par le journaliste).
En face, parfois farouchement opposés aux premiers, les partisans d'une action progressive vont préférer se lancer dans l'éducation d'une part et dans la subversion de l'autre. L'éducation consistera en la propagande des idées révolutionnaires par l'éducation, le journalisme, des associations, la subversion pourra consister en une infiltration des appareils d’État par des révolutionnaires qui brigueront des postes de directeurs d'école, de professeur, d'élus, de collecteurs d'impôts, etc. de telle sorte à être en mesure de perturber le bon fonctionnement de l’État jusqu'à ce qu'il s'effondre de lui-même et de diffuser massivement les idées révolutionnaires jusqu'à ce que ses partisans soient si nombreux qu'une révolution devienne envisageable. Ce que la RAF appelait la « longue marche à travers les institutions ».


Pas de degrés dans la radicalité

Ce ne seront donc pas les mêmes personnes qui occuperont ces positions puisqu'elles s'opposent les unes aux autres. Un travail sociologique et non plus philosophique consisterait à déterminer les raisons sociologiques, historiques, qui président à l'accord avec telle ou telle d'entre elles. Mais ce n'est pas mon objet. Mon objectif, beaucoup plus limité, était de dresser un champ pratique de la radicalité, et de le plaquer sur un objet en tension : l’État, sans chercher à en épuiser le champ. Je ne dis rien du mouvement ultralibéral des seashore states, je ne dit rien de certaines positions d'extrême droite qui se veulent anarchistes, etc. J'en reste à un niveau de généralité sans doute trop grand, mais approfondir et appliquer plus finement l'analyse à la situation contemporaine demanderait un travail que je ne me vois pas accomplir dans l'immédiat.
Par contre, on peut essayer de savoir s'il est possible de réserver l'usage du terme de radicalité à un seul de ces modes d'action. C'est une possibilité pour réduire drastiquement l'usage pléthorique qui est fait du mot. On aurait tendance à le réserver à la branche illégale des actions. C'est d'ailleurs ce qui se fait souvent. Mais ce serait oublier d'une part que l'extrémisme n'est pas la radicalité (la tuerie de El Paso : extrémisme et pas radicalité, les attentats contre les populations ne sont pas radicaux) et que la lutte radicale (qui cherche à remonter à la racine d'un mal) n'est pas par nature illégale ni violente. On peut donc être radical et s'en tenir aux limites de la loi. On est tenté face à ça de dire qu'on est alors « moins radical ». Mais est-ce vraiment une question de degré ? Ça le pourrait, mais il faudrait préciser. Degré de conviction ? La radicalité alors serait au moins en partie une affaire de psychologie. Il s'agirait de se demander ce qui fait qu'on s'accroche plus qu'on ne s'accorde à une idée. Mais ça, c'est pas un un attachement radical, mais un attachement désespéré à une idée, radicale ou non. La question reste cependant posée : est-on radical quand on n'est que modérément convaincu par les idées radicales qu'on professe mollement ? Il semble bien que non. La forte conviction semble donc bien être un critère, mais commun aux diverses formes d'action, aux diverses convictions. Cela ne peut pas être d'un grand secours. Degré d'engagement ? Les ressors tiendraient plus à la théorie de l'action politique. Celui qui agit est-il nécessairement plus radical que celui qui écrit ? Degré de violence ? Ce serait alors une question juridique. Mais plus instrumentale que descriptive : utile pour juger, non pour classifier. On en revient en effet à dire que l'extrémisme n'est pas la radicalité et on n'est pas plus avancé pour autant.
Pour le moment, donc, la radicalité est une position théorique qui consiste à remonter à la racine d'une conviction et une position pratique, coordonnée à la position théorique, qui vise à combattre un mal en l'attaquant à la racine. Les actions qui peuvent être envisagées pour ce faire, qu'on peut à juste titre dire « radicales », sont multiples, parfois opposées entre elles et tendent à rendre confuse la notion de radicalité. Mais on aurait tort de chercher à designer des positions plus radicales que d'autres : est radicale l'action qui vise à combattre un mal à la racine, radicale la théorie qui désigne cette racine, propose des moyens de la combattre, quels que soient ces moyens, développe des raisons pertinentes, justifiées, fortes de la combattre (sans quoi on verse dans l'extrémisme).
Il faut ainsi se garder absolument de confondre radicalité et violence, radicalité et extrémisme.

vendredi 20 septembre 2019

Spoiler alert (5) : enter the matrix


Je poursuis une réflexion menée il y a plus de deux ans. À moitié avec les pieds j'avoue. Une fois fini il faudra que je reprenne tout depuis le début mais enfin, cela m'a permis de mettre en évidence déjà pas mal de choses essentielles.

D'abord, qu'un film n'est pas une histoire. Une histoire drôle n'est rien d'autre que ça : une histoire. Dont tout l'intérêt repose sur la chute. Elle fait rire la première fois, elle gonfle à la dixième. Parce qu'elle a perdu tout pouvoir comique. Il faut pour la relancer, un élément tout à fait extérieur à la blague elle-même : un style personnel, des apartés, une chute renouvelée ou une grosse perturbation. Je me souviens d'un type à la fac, qui après essuyé flop sur flop avec des blagues de Khâgne qui ne faisaient rire que lui, que personne parmi nous ne comprenait même de loin, s'est rabattu sur le classique « bonjour mamie whoa ça sent la mort chez toi mamie ! Mamie ? Mamie t'es là ? ». C'est sa carrière de comique qui s'en est fait rabattre. Parce qu'alors qu'on l'écoutait tous en silence attendant le désastre final (bien sûr qu'on la connaissait tous cette histoire), Ben a hurlé au milieu du récit « Bah elle répond pas, c'est PARCE QU'ELLE EST MORTE ». Spoilant le truc comme un gros sac. On s'est pissé dessus de rire, parce que d'une part la blague s'est déportée sur celui qui la racontait, et parce que pour le coup, arrivée au milieu du truc, la fin en devenait surprenante. Mais impossible à jouer deux fois.

Un film c'est pas ça. Le plaisir cinéphile est de nature différente. L'histoire n'y est pas secondaire, mais elle est ce autour de quoi le film se construit. Si on veut, l'histoire est toute entière dans le script, mais on serait bien en peine d'y lire ce que sera le film. Qu'est-ce qu'un film, donc, et qu'est-ce qui dans le film nous donne le plus de plaisir si ce n'est l'histoire ? Pour ce qui nous concerne, un film est un ensemble d'éléments plus ou moins disparates qui concourent tous à produire du sens. Tout, dans le choix des acteurs, de leur direction, des costumes, l'élaboration des décors, le choix des plans, de leur rythme, de la musique, concourt à produire du sens. Les mauvais films échouent généralement à faire ça, ils parviennent parfois seulement à bien raconter l'histoire, mais sans une certaine épaisseur, cela n'en fait pas des bons films. Or c'est cette épaisseur qui est importante—certains disent l'univers du film. J'irai pas jusque là. Parler d'univers revient soit à parler du contenu du film comme d'une réalité, ce qui nous fait vite sortir du film en tant que tel, soit à n'évoquer qu'une sorte de tonalité affective (univers macabre) ou à situer temporellement le film (univers futuriste). Cette épaisseur porte l'histoire, la raconte à sa manière, permet d'anticiper sur ce qui arrivera à bien des égards, et c'est d'elle dont nous tirons tout notre plaisir. Le plaisir vient de la confrontation entre l'épaisseur du film et ce que cherche à dire l'histoire. Nous avons du plaisir quand cette confrontation montre l'extrême cohérence du film, du déplaisir quand trop d'éléments sont en décalage et nous font sortir du film. Les américains parlent d'un effet pop-out. Les anachronismes ont cet effet. 
Le pop-out survient aussi quand on reconnaît un acteur qui n'est pas assez absorbé par son rôle. L'effet Pop-out, c'est quand on découvre à la fin d'Interstellar que le Dr Mann est joué par un Matt Damon que rien jamais ne nous a préparé à accepter. On s'est tous dit « mais qu'est-ce qu'il fout là lui ? » en le voyant. Pareil au début de Guardians of the galaxy 2. J'ai éclaté de rire à l'ouverture, parce que dans la décapotable, un personnage qu'on ne connaît pas sonne trop faux, genre visage tartiné de CGI. J'avais l'impression de voir Kurt Russell incarner Ozzy Osborne dans un biopic improbable. Le fou-rire a redoublé d'intensité quand on a finalement remarqué que c'était bel et bien Kurt Russell. Mais en début de film c'est pas bien grave, surtout dans un film qui n'est que clins d'oeil à la pop culture. Il y a pop-out aussi quand un élément matériel du film ressort trop, écrasant le reste, parce que trop caricatural ou trop bête ou pas assez bien amené. Par exemple à la fin de Gran Torino, Clint Eastwood tombe mort les bras en croix comme un Jesus-Christ revenu du Viet-Nam. C'est stupide et trop appuyé, cela écrase l'épaisseur du film en réduisant ce personnage complexe, à une sorte d'allégorie, en une sorte de héros au bon coeur. C'est pas ça qu'on attend d'un film. Cela retiré, le film aurait été plus réussi. Parce qu'offrant paradoxalement plus de matière à exploration.

C'est l'évidence même, mais rappelons-le tout de même : pour bien profiter du film, donc, il faut savoir où il veut en venir, il faut connaître l'histoire, s'être familiarisé avec sa matière. D'où le goût immodéré des bonus, des making-of, sur les dvd et les bluray. Des analyses à n'en pas finir sur internet. Mais comment expliquer alors qu'on ait tous tellement peur des spoilers ? L'hypothèse va être être que, vu que cette peur ne peut se justifier à partir de ce que sont les films (quand ils sont bien fait, ils devraient permettre de prévoir la fin), ni tellement à partir de la psychologie du spectateur (on a tous plus de plaisir à revoir les films qu'à les voir une première fois), elle doit reposer sur autre chose : les modes de consommations actuels des films. Et plus que des films, du reste : des séries. Pour être plus explicite : la peur du spoil est un phénomène typique d'internet.


Pourtant l'histoire du spoiler est plus vieille qu'internet. Mais internet est rarement créateur ; il est
surtout agrégateur. Internet a simplement réuni les éléments qui allaient permettre de faire du spoil, qui existait bien avant internet, l'objet d'une telle obsession.

 Dès Avril 1971 en effet, le National Lampoon, magazine satyrique, publie une rubrique entièrement consacrée au spoiler : elle dévoile la fin de nombreux films, mais aussi de romans. Comme quoi, Ruquier n'a rien inventé, mais ça c'était pas à prouver. Douglas C. Kenney présente ainsi sa rubrique :

« In a more tranquil times, Americans loved nothing better than curling up with a blood-chilling whodunit or trooping off to the cinema to feast on spine-tingling thrillers, weird science fiction tales and hair-raising war adventure.Nowadays, however, with the country a seething caldron of racial, political and moral conflict, the average American has more excitement in his daily life than he can healthily handle. (Remember what the American Heart Association says about excess nervous tension.)For this reason, on the following pages the National Lampoon presents, as a public service, a selection of ''spoilers'' guaranteed to reduce the risk of unsettling and possibly dangerous suspens. We ask that you read them over several times and, if possible, commit them to memory before you venture into the actual book or late night movie.Remember, the life you save may be your own. »


Traduit rapidement :

« A une époque plus calme, les américains préféraient par dessus tout se détendre avec un polar à te glacer le sang ou se ruer au cinéma pour frissonner avec délectation devant des films à suspens, d'étranges récits de science-fiction et des films de guerre à te dresser les cheveux sur la tête.Aujourd'hui, cependant, avec le pays qui bouillonne dans le chaudron des conflits raciaux, politiques et moraux, la vie quotidienne de l'américain moyen lui procure plus d'excitation qu'il ne peut en supporter. (Souvenez-vous de ce que la American Heart Association dit d'un excès de tension nerveuse).C'est pour cela que le National Lampoon va présenter dans les pages qui suivent, à des fins de service public, une sélection de ''spoilers'' qui réduiront infailliblement le risque de se retrouver dans une situation où le suspens s'avérerait dérangeant et peut-être même dangereux. Nous vous demandons de les lire et relire plusieurs fois et, si possible, de bien les garder en mémoire avant d'aller vous aventurer à lire les livres ou voir un film tard le soir.Souvenez-vous, la vie que vous sauvez pourrait être la votre. »


S'ensuit, dans un style lapidaire, la fin des films de Hitchcock, Psychose en tête, des films avec Bogart, des thrillers, des films d'anticipation politique, pour les livres des classiques de la littérature, etc. Ils vont même jusqu'à dévoiler le dénouement d'une nouvelle policière présente de ce même numéro : Jean-Paul Sauvage, le détective philosophe, Critique of pure murder.

Plusieurs remarques s'imposent : si Hitchcock est le premier spoilé, c'est peut-être parce qu'il demandait aux spectateurs de ne pas révéler la fin de Psychose, premier film de la liste. C'est donc sans doute un pied de nez au grand réalisateur. Ensuite, ces révélations sont faites pour le plus grand bien des lecteurs. On dira que c'est satyrique, que c'est drôle, oui ça l'est, mais ça joue surtout sur la grande ambiguïté du terme : le « spoiler » est celui qui gâche et qui gâte : celui qui ruine le film, c'est bien l'idée d'ailleurs, il s'agit ici de détruire les effets dramatiques afin de faire baisser la tension, mais c'est surtout celui qui couvre de cadeaux, de bienfaits, d'attention. Le spoil est donc présenté d'abord comme une chose souhaitable. Enfin, cette présentation repose sur une mauvaise conception du suspens. Je l'ai écrit déjà dans une précédente étape, mais justement le suspens suppose, c'est Hitchcock qui nous l'apprend, que le spectateur soit un spectateur savant. Il doit savoir ce qui va arriver pour ressentir de la tension, un mélange d'appréhension et d'excitation, face au spectacle qui lui est proposé. Connaître la fin par avance, donc, permet d'identifier les éléments essentiels de l'histoire à mesure qu'elle se déroule, permet d'apprécier en direct la manière dont ils nous amènent progressivement vers l'issue finale.

D'après ce que j'ai pu lire, c'est à partir des années 80, sur internet, que les « spoiler alert » ont commencé à être utilisés pour révéler des éléments d'intrigue en permettant aux autres usagers de ne pas les lire s'ils ne le souhaitent pas. Les divers articles que j'ai lus font remonter le phénomène à des discussions à propos de Star Trek : wrath of Khan. Depuis, ce qui était alors un simple acte de prévoyance et d'éthique numérique est devenu la source d'un véritable phénomène de folie collective. Typique d'internet. Pour comprendre comment le spoiler a évolué jusqu'aux proportions qui sont les siennes aujourd'hui, il faut s'intéresser à l'évolution du mode de propagation des films, à l'évolution d'internet en vaste réseau social, à l'émergence d'un nouveau type de séries. Ces évolutions parallèles participent toutes à une modification profonde de notre rapport aux œuvres audiovisuelles. C'est donc ça qu'il va nous falloir explorer maintenant pour comprendre l'obsession du spoil comme le produit psychologique d'une évolution technologique.


mercredi 18 septembre 2019

Radicalité 3 : le concept de radicalité


Parlons enfin radicalité. Ça va être plutôt compliqué. D'abord parce qu'il nous faudra faire abstraction des personnes qui assument cette radicalité, de ce qu'elles peuvent en dire. Faire abstraction aussi du mouvement qui mène à la radicalité pour considérer cette dernière non comme un résultat, un aboutissement ou un stade transitoire mais comme une réalité solide, durable et existant en soi. Faire fi donc des radicalisés et des (dé-)radicalisations. Ensuite parce que la radicalité semble ne jamais exister en elle-même mais toujours en opposition à une non-radicalité, à une modération. La radicalité pourrait facilement passer pour une qualité relative, qui naît de la comparaison entre elle et une position modérée. La radicalité dépendrait ainsi du référent auquel on la compare.
Étudier la radicalité en théorie reviendra donc pour nous à nous livrer d'abord à une approche conceptuelle destinée à apporter une définition de la radicalité comme chose en soi, afin d'en fixer la définition et les usages légitimes. Cet effort, purement philosophique, se doublera d'une approche structurelle qui viendra organiser, exploiter et resituer les données offertes par l'approche conceptuelle. Ce deuxième temps de la réflexion, plus sociologique, nous permettra d'étudier la radicalité non plus en théorie, mais en pratique.


On l'a déjà dit, dans son concept populaire, la radicalité est le fait de s'opposer avec violence aux autres, de faire preuve d'une intransigeance telle qu'elle entraîne une séparation entre le radicalisé et le reste de la population ; ostracisme ou isolationnisme. Étymologiquement parlant, oui, la radicalité a à voir avec la racine (radix). Mais dire que la radicalité c'est « aller à la racine » ne nous permet en rien de comprendre en quoi aller à la racine doit entraîner une telle séparation et rendre violent. Après tout, si les racines de la plante ou de l'arbre sont sous terre et invisibles, elles n'en sont pas pour autant séparées du reste de la plante, tige ou tronc, feuilles et fleurs. Au contraire, dévoiler ce qui est caché, ce qui soutient, nourrit et fait croître ce qui se montre semble plutôt être une activité louable qui, loin de les détruire, met en évidence des liens essentiels. Le radical ne se séparerait pas ainsi du reste de la société, mais creuserait les liens profonds qui le lient aux autres. Si on s'appuie sur la notion linguistique, le radical est la partie essentielle du mot. C'est lui qui porte le sens commun entre tous les mots d'une même famille : vecteur de sens, donc, et unificateur. Par là encore, ce passage de la racine à la violence qui sépare est incompréhensible. À quelle racine donc faut-il remonter pour comprendre la radicalité ?


Remonter aux racines d'une conviction

On peut d'abord considérer que l'on remonte aux racines d'une conviction, nécessairement collective ; autrement, on ne parlerait pas de radicalité mais de folie. Le plus souvent, elle est d'ordre politique ou religieux. Bien qu'elle puisse tout aussi bien être philosophique, esthétique ou autre. Mais cette racine, quelle-est-elle au juste ? Elle peut être soit le fondement de la conviction, de la doctrine, soit son origine.

Remonter au fondement, c'est remonter à l'essence même de la conviction, chercher à la retrouver dans toute la pureté de son message, de son intention et de l'attitude qu'elle impose. Ou dans la pureté de ses fondement, de ses éléments les plus primaires.
C'est cela qu'il convient d'appeler fondamentalisme.

En art, on peut ainsi considérer que les artistes discrépant (ce sont, dans le language d'Isidore Isou, ceux qui réduisent une expression artistique à ses éléments les plus rudimentaires) sont des fondamentalistes : les lettristes reviennent au fondement de la poésie, les sons et le rythme, les suprématistes au fondement de la peinture, couleur, forme et matière, etc. On comprend très bien le rejet qu'ont subi ces artistes : les gens ne viennent pas dans les musées voir la peinture, mais ce qu'on peut représenter par la peinture ; ils n'ont ainsi jamais vu la peinture réellement, en tant que matière—or c'est avec cette matière-là que les peintres ont toujours lutté, c'est en elle qu'ils pensent—mais n'ont jamais vu que des images flatteuses. L'académisme n'est rien d'autre qu'une manière de flatter l’œil bourgeois. Le fondamentalisme pictural est donc nécessairement un scandale, comme en atteste les attaques (lacérations, graffitis) que subissent les tableaux de Barnett Newman, au nom d'une guerre des réalistes contre les abstraits.
On pourrait aussi prendre en exemple les chrétiens-communistes et la théologie de libération des XIX-XXe siècles qui retrouvaient dans la doctrine marxiste la pureté du message évangélique. Et ce en dépit des menaces d'excommunication. Il suffit en effet de lire les Actes des Apôtres pour voir les similarités entre christianisme et communisme : refus de la richesse, mise en commun des biens que l'on distribue aux uns et aux autres selon leurs besoins, égalité stricte entre tous les membres, etc. Le christianisme primitif, comme le communisme, prône « l'abolition de la propriété privée » et la collectivisation des biens. Le mode de vie des premiers chrétiens est l'application stricte des préceptes de Jésus, c'est bien en cela qu'on peut parler au sujet des chrétiens-communistes de fondamentalisme : à leur époque, le communisme était l'expression la plus actuelle du message chrétien et il était naturel pour eux de s'associer à ce mouvement.

Est-ce à dire que le fondamentalisme peut en même temps être progressiste ? Il y à là quelque chose qui choque. Les fondamentalistes ne passent pas vraiment pour des rénovateurs … Au contraire, ils prôneraient plutôt un parfait retour en arrière. Ce paradoxe peut être levé de deux manières. Soit, c'est ce que l'on fera après, en distinguant le radicalisme de conviction (fondamentalisme) du radicalisme de combat, soit en distinguant, dans le radicalisme de conviction, celui qui remonte aux fondements de celui qui en revient à l'origine.

Revenir à l'origine, chercher à vivre et penser comme on le faisait du temps de ceux qui sont à l'origine de notre croyance, c'est très exactement ce que promet le salafisme. Il propose comme idéal « l'imitation des pieux ancêtres » et impose de vivre comme au temps du prophète et de ne considérer comme vrai et acceptable que ce qui l'était déjà à son époque. Cette forme de radicalisme est le contraire même du progressisme et il est important à ce propos de revenir à l'origine du mot « fondamentalisme ».
Le terme de fondamentalisme est né en 1919 aux Etats-Unis. Il a été forgé pour la « World Christian Fundamentals Association » (association mondiale des fondements chrétiens), dont le but avoué était d'en revenir aux croyances de la bible pour lutter contre le progrès de sciences, jugées dangereuses pour la foi, en premier lieu la théorie de l'évolution. C'est donc une association anti-moderne qui prône une lecture littéraliste du texte biblique. Exactement comme les salafistes, qui, dès le XIX, s'opposèrent à l'occidentalisation du monde arabe. On voit qu'ils ne remontent pas aux fondements d'une conviction, qui se traduirait par une fidélité à l'esprit du texte dans une rénovation de sa lettre, mais rejettent le monde dans lequel ils vivent, qu'ils tentent de fuir en s'en retournant vers le passé.
Comment nommer ces radicaux pour bien les distinguer des vrais fondamentalistes ? Lors de ma présentation, je proposais sans grand enthousiasme un néologisme : « germinalistes », avec comme définition « personnes qui en reviennent au germe, à l'état naissant, à l'origine accidentelle de leur croyance pour s'opposer à ce qu'ils considèrent être une menace ». Mais j'étais pas très satisfait. On peut préférer les appeler « réactionnaires ». Seulement on peut être un réac' sans conviction. On peut être réac' par sentimentalisme plus que par conviction. On manquerait donc ce qui fait la spécificité de cette réaction. Les germinalistes américains sont convaincus que la Terre est jeune, que les dinosaures sont une ruse du diable, que l'homme n'a pas évolué, etc. Ils en veulent pour preuve la Bible elle-même, lue au pied de la lettre, exactement comme les salafistes se justifient par une lecture rigide du Coran. On est donc justifié de les dire « littéralistes », mais la lecture littérale du texte religieux est chez eux le moyen de s'opposer au monde et n'est pas une fin en soi ; il faudrait donc un terme qui condense le littéralisme, le passéisme et le germinalisme. Bien malin celui qui arrivera à forger un tel concept.

Remonter aux racines d'un mal

Ainsi, lorsque l'on parle de fondamentalisme aujourd'hui, essentiellement, on parle de ces doctrines qui prétendent remonter aux racines du mal afin de l'éradiquer. Le problème est que cette composante première, guerrière, non contre un ennemi mais contre l'époque elle-même, est présentée comme la conséquence d'un retour à la pureté première qui en est en fait l'alibi et le moyen. Lutter contre une modernité partout présente et qui s'exprime en chaque instant impose logiquement l'intransigeance, la violence et l'isolement. Pour se défendre de ce qu'il s'agit justement de détruire. Mais quel est ce mal ? Pour les salafistes du XIXe comme pour les chrétiens du XXe, c'est l'occident moderne. Pour Rousseau, c'est, à en croire son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, la propriété privée et l'amour-propre. Pour Marx la propriété privée et la domination de classe et pour les anarchistes, c'est l’État. On peut d'ailleurs à ce propos évoquer une contradiction fâcheuse. À considérer que l’État c'est le mal, comment l'éradiquer ? La doctrine marxiste de base consiste à dire que le prolétariat doit s'emparer de l’État pour l'abolir. Mais quand on voit les efforts nécessaires pour ce faire, et à quel point la maîtrise de l’État facilite l'action, on comprend qu'il soit absurde de s'emparer de l’État pour le détruire. Qui s'en empare le maintient, le développe au besoin, y installe les siens et les défend coûte que coûte. Il y a donc fatalement une perte de radicalité dans l'effort de réalisation des intentions radicales. La mise en œuvre concrète des idées radicales, en ce cas, c'est tout le paradoxe, déradicalise : on ne fait plus face à une volonté de détruire l’État mais de l'améliorer ; on passe du radicalisme au réformisme, du communisme au socialisme, quand le projet ne change pas du tout au tout. Pour éviter cela, on peut évidemment décider d'abandonner la course politique pour des moyens plus directs : dont la version la plus extrême est la propagande par le fait. C'est-à-dire l'attentat. Mais les attentats ont toujours été un échec, puisqu'ils terrorisent une population attachée à sa sécurité, et donc à l’État qui en est le premier garant. Ils offrent en plus à ce dernier l'occasion de se renforcer par des lois plus dures sans se heurter à l'opinion. C'est ce que la RAF a découvert après leur vague d'attentats contre des grands industriels. Dans leur esprit, la répression policière à laquelle ils allaient être confrontés devait soulever l'indignation de la population, qui en solidarité devait se soulever contre l'Etat et le renverser dans un grand mouvement d'insurrection révolutionnaire. Ce qui s'est passé, et cela semble condamner par avance l’extrémisme, c'est que le peuple, plus inquiet de la violence terroriste que de la violence capitaliste, était soulagé de les savoir en cellule.

Radicalité et extrémisme

Ces quelques réflexions sur le fondamentalisme de combat, dont le but est de supprimer l'ennemi, source de tous les maux (l'Etat, la classe bourgeoise, le patriarcat, je mets tout sur un même pied d'égalité, les recherches ultérieures auront pour tâche de distinguer tout ça), dont le but est d'en finir d'une manière ou d'une autre avec l'époque, ont évidemment fait leur effet sur l'auditoire dans le cadre d'une présentation limitée dans le temps et condamnée à n'évoquer que rapidement ces questions. Il faudrait, dans le cadre de ces articles, entrer plus dans les détails afin d'éprouver pleinement la pertinence de ces distinctions. Ce que je ferai ultérieurement. Résumons pour le moment. Nous avons découvert quatre formes de de radicalité. Ces formes sont radicales en elles-mêmes, et non pas en fonction de positions plus modérées auxquelles on les comparerait.Ces quatre formes ne sont pas exclusives : ce sont des manières de décrire des positions radicales, certaines peuvent donc s'appliquer ensemble à une même position radicale. Cependant il est à noter que certaines s'excluent les unes les autres.
Ainsi nous pouvons distinguer une radicalité de conviction qui se divise en deux branches exclusives : le fondamentalisme (retour au fondement de la conviction) et le germinalisme (retour à un passé considéré comme un âge d'or). À côté de ces distinctions, un radicalisme de combat, qui prétend sous toutes ses formes arracher le mal à la racine. Mais d'une part, ce radicalisme pourra être réactionnaire, rétrograde ; il recoupera alors la radicalité germinaliste, d'autre part progressiste, c'est-à-dire tourné vers la réalisation d'un état du monde encore inconnu (si on veut d'un âge d'or, mais qu'il faudrait situer non dans le passé mais dans l'avenir), il pourra alors recouper la radicalité fondamentaliste telle que nous l'avons définie. Nous pourrions chercher à distinguer plus : en proposant d'appeler le radicalisme réactionnaire « extrémisme » pour réserver le terme de radicalisme aux seules tendances progressistes. Cela essentiellement à des fins de clarté puisqu'il n'est pas certain que cette distinction tienne la route ; l'extrémisme pourrait être plus adéquatement la violence extrême, collective et concertée, utilisée indépendamment de toute radicalité, donc dans un but politique autre que celui d'arracher un mal réel ou fantasmé à la racine. L'extrémisme serait alors cette violence déployée non contre les causes d'un problème mais contre ses effets les plus lointains. Pour reprendre les métaphores botaniques, l'extrémisme ne consisterait pas à arracher le mal par la racine, ça c'est la radicalité, mais à chercher à le faire mourir en lui arrachant les feuilles, derniers développement de ce qui se joue dès la racine. On comprend ainsi que l'extrémisme se tourne vers un faux combat et vise d'autres buts que l'éradication d'un mal, même si ce dernier se trouve au cœur des discours extrémistes. Prenons un exemple un peu ancien : dire avec le FN en 1978 "1 million de chômeurs, c'est 1 million d'immigrés en trop", c'est un discours extrémiste en ce sens que l'immigration n'est pas la cause du chômage (les études faites sur la question montrent qu'il n'y a aucune corrélation entre les deux) et que pour lutter contre le chômage, mieux vaut chercher des causes économiques. Extrémiste surtout parce que le but de cette affiche est d'opposer autochtones et immigrés et d'attiser la haine envers ces derniers plutôt que de résoudre les problèmes des autochtones, qui continueraient à subir le chômage malgré une épuration ethnique ou, plus soft, une politique de préférence nationale. 

lundi 16 septembre 2019

Radicalité 2 : quelques distinctions nécessaires


Il est difficile de parler rigoureusement de la radicalité. On l'a vu, on a rapidement tendance à employer le mot pour tout et n'importe quoi. Le philosophe a de toute façon toujours maille à partir avec le grand n'importe quoi du langage quotidien, avec les idées reçues les plus stupides, et ce n'est que lorsqu'elle se décide courageusement à nuire à la bêtise ambiante, lorsqu'elle décide d'abandonner la sécurité des traditionnelles « questions philosophiques et existentielles » qu'elle se montre à la hauteur de ses prétentions. Effort vain, activité de Sisyphe, mais à laquelle il faut se livrer malgré tout.
On voit l'ampleur de la tâche quand on remarque que la confusion est totale là-dessus. La confusion ne porte pas seulement sur la valeur positive ou négative du mot, mais, et là ça tient du délire, sur la différence entre radicalité, radicalisé et radicalisation. Il faut donc opérer des distinctions claires et s'y tenir solidement pour ne pas glisser d'une idée à une autre et produire finalement un discours inintelligible. Il faut donc faire tout le contraire de ce qu'a fait le gouvernement ... En effet, sur son site de prévention de la radicalité, stop-djihadisme, la définition donnée de la radicalisation est un modèle d'absurdité et de confusion :

Le mot « radicalisation » vient du latin radix, qui signifie « aller à la racine ». Au sens politique, le terme désigne les personnes souhaitant changer radicalement la société en faisant – ou pas – usage de la violence.
http://www.stop-djihadisme.gouv.fr/radicalisation/explication-du-phenomene/radicalisation-djihadiste-quest-ce-que-cest

Déjà le premier souci, c'est qu'il n'y a aucune relation entre les deux phrases là où logiquement on s'attendrait à ce que la seconde, qui veut porter sur le sens politique du terme, s'appuie sur l'étymologie proposée par la première. Mais le pire, le délirant, c'est que la radicalisation « désigne les personnes ». « Radicaux » et « radicalisés » désignent des personnes. Pas radicalisation. Qui est un processus de transformation. Je ne dirai rien ni de la définition circulaire (le radical, c'est celui qui veut agir radicalement), ni de la petite précision contre-productive (« ou pas ») qui jette un flou inutile et ruine définitivement l'intérêt d'une telle définition. Car si le radical « souhaite changer radicalement la société en faisant—ou pas—usage de la violence », je suis désolé, mais faut dénoncer Macron et le ficher S parce qu'il prétend tout de même « une transformation complète, radicale » de la France.

Essayons donc de corriger cette erreur lamentable : qu'es-ce au juste que radicalité, radicalisation, radicalisé ? Force nous est de constater d'abord que ces trois notions sont liées entre elles : le radicalisé est celui qui finit par faire preuve de radicalité et la radicalisation est le phénomène qui le mène vers cette radicalité qu'il exprimera. Ce n'est donc qu'après avoir clairement défini la radicalité qu'on pourra revenir sur les deux autres termes, pour en approfondir, ou en transformer, notre compréhension.


Le radicalisé

Disons pour le moment simplement que le radicalisé est un personnage, une figure construite par des discours. Principalement des discours de pouvoir élaborés en commun entre représentants des institutions (politiques, carcérales, juridiques) et chercheurs en sciences sociales. Ces discours sur la radicalisation visent à donner des outils aux institutions afin de surveiller et punir les radicalisés, qui sont l'objet essentiel de ces discours officiels. Ces derniers visent en effet en grande partie à dresser des profils types permettant d'identifier et de neutraliser des individus dès lors considérés comme dangereux. C'est ici la même notion de dangerosité qui à l'oeuvre que celle analysée par Foucault dans les Anormaux. Le dangereux est celui qui ne se plie pas aux normes, qui les remet en cause. Farhad Khosrokhavar définit le radicalisé comme un héros négatif qui n'est autre que celui qui va adopter l'inverse des normes reconnues et imposées par la société. Il est ainsi intransigeant quand la société est ouverte, religieux quand elle est laïque, etc. Ces discours sur le radicalisé ont les mêmes logiques circulaires (l'expertise vient produire un doublet psychologico-moral du délit, tautologique en ce qu'il ne fait que traduire le crime en termes de dispositions criminelles, faisant ainsi glisser le jugement du crime vers la personne) et les mêmes conséquences que ceux sur les anormaux : en 2017 Abdelkader Merah, frère de Mohammed Merah, pourtant innocenté des accusations de complicité dans les crimes de son frère, se retrouve condamné à 20 ans de prison. Pour dangerosité : à cause de son adhésion aux « thèses islamistes radicales » (il a été reconnu coupable de complicité cette année, en appel).

Avec l'imprégnation du terrorisme sur le mot, et l'ambiguïté profonde dont il est de toute façon marqué, le radicalisé passe fatalement pour un criminel violent, dangereux et fanatique. Il est ainsi un moyen de disqualifier les militants et leurs luttes. Claire Nouvian est ainsi, aux yeux des lecteurs de Valeurs Actuelles, une « hitler féminin », « écologiste radicalisée » à la « dialectique fermée », qui « terrorise, ostracise et élimine » ses adversaires en faisant planer au dessus d'eux le spectre d'une censure stalinienne. Rien que ça. Une candidate écolo qui se présente aux élections avec le PS, on a connu plus brutal, et je ne parle pas des discours sur les « féministes radicalisées », tous plus stupides les uns que les autres (https://lincorrect.org/valentin-valentin-e-morne-plaine/) ...
Il faut noter cependant la passivité supposée du radicalisé, comme si le phénomène de la radicalisation était subit de l'extérieur : on parle volontiers d'endoctrinement. Cela n'est pas du tout pour dédouaner le radicalisé, toujours menaçant, mais pour indiquer qu'il est le véhicule d'une menace extérieure, d'une ingérence, d'une occupation venue de l'étranger. Le radicalisé islamiste est l'outil de l'Arabie-Saoudite et la féministe radicalisée le porte-parole d'un féminisme américain qui ici fait tâche, qui n'est pas adapté à « la galanterie à la française ». Mylestan, dans son article raciste en diable de L'Incorrect, magazine culturel ouvertement de droite, met sur un pied d'égalité jihadisme et féminisme et fait même de ce dernier un autre « grand remplacement ». Ce qu'on peut lire comme un remplacement des hommes par les femmes, mais aussi, vu le sens originaire de l'expression, comme le remplacement par une pensée américaine d'une pensée française. Enfin, selon le lectorat de Valeurs Actuelles, « l'écologisme » de Nouvian est « un des avatars du mondialisme », donc bel et bien une atteinte extérieure à l'identité française.
On le voit, parler de « radicalisé » permet d'évacuer à bon compte les raisons bien franco-française des colères qui s'expriment dans tout le pays et de disqualifier ces dernières comme violence aveugle contre une identité ou un gouvernement légitimes et menacés—manière de transformer victimes en bourreaux et causes politiques, sociales, en causalité psychologique.
Soit pour le meilleur, avec les livres de Fethi Benslama, Le Surmusulman, L'idéal et la cruauté, soit pour le pire. Féminisme toujours, le site pickupalliance, site de coaching en séduction, excusez du peu, donne comme conseil d'aller draguer sans se poser de question quand ça ne marche pas, que la fille n'est pas réceptive ou s'énerve :

Votre objectif est de rencontrer des filles agréables, qui seront assez compliantes dès le départ pour vous laisser une occasion de les séduire.Si vous abordez une fille correctement mais qu’elle vous répond mal, tant pis ! Vous avez fait votre travail.Allez sur la fille suivante sans suranalyser sa réaction.Il y a de fortes chances que le problème ne vient pas de vous, mais d’elle.C’est peut-être une flippée ? Une féministe radicalisée ?https://www.pickupalliance.com/drague/phrase-approche-sans-rejet/

Donc être une féministe radicale, c'est avoir un problème psychologique, être une « flippée ». La colère n'est évidemment pas une réponse appropriée face au mec qui « va sur la fille », dans l'objectif de se rassurer lui-même sur sa propre virilité auprès de « filles agréables », « compliantes »—en un mot : soumise, pour in fine en imposer aux autres hommes. Il faut évidemment voir dans cette réification un charmant compliment ...


La Radicalisation

La radicalisation est l'action de radicaliser. On peut l'entendre comme un mouvement, individuel ou collectif, qui porte les radicalisés d'une position centraliste, consensuelle, vers une position radicale, considérée comme excentrée ou extrémiste. Que ce soit dans le domaine politique (Wauquiez qui radicalise ses positions sur l'immigration et le terrorisme se rapproche de l'extrême droite ; Hamon qui se radicalise se retrouve renvoyé à l'extrême gauche) ou religieux. Pour ce dernier cas les ouvrages de David Thomson (Les français jihadistes) et celui de Farid Benyettou et Dounia Bouzar (Mon Djihad), permettent de voir comment ce mouvement s'impose aux individus, issus de familles musulmanes ou convertis de fraîche date, et d'en suivre les étapes. Mais dans le domaine social, le plus souvent les discours dénoncent une radicalisation des luttes, de manière parfaitement anonyme : radicalisation de l'écologie (écoterrorisme fort en Angleterre, vu comme dérive terroriste de la lutte écologique), du véganisme (les boucheries repeintes en rouge et dont on brise les vitres sont données comme le signe d'une radicalisation de l'idéologie vegan), etc., comme si ici la radicalisation n'était pas le parcours de personnes mais la déviation inévitable d'idées. Par exemple de l'opposition faite entre politique écologique et écologie politique, la première, assumée par le gouvernement, étant vertueuse, l'autre, propre aux mouvements militants et aux partis écologistes, étant dangereuse, suspecte et inconsidérée. Ainsi, dans une même logique, parler de radicalisation de telle ou telle lutte vise à la discréditer même dans ses formes plus consensuelles, celles-ci n'étant plus que la porte d'entrée vers une radicalité politique, donc vers le terrorisme.


Ces mots de radicalisé et de radicalisation sont pourtant susceptibles de recevoir une définition non polémique et rigoureuse. Mais il nous faudra d'abord définir clairement ce qu'est la radicalité pour pouvoir leur donner un sens qui, débarrassés du poids des usages polémiques, traduise exactement les réalités qu'ils doivent recouvrir.

dimanche 15 septembre 2019

Radicalité 1 : le chaos conceptuel


Il y a quelques années j'ai donné une conférence sur la Radicalité. Le but était d'en clarifier la notion et de l'utiliser pour critiquer la manière dont on utilise le mot et essayer, de mon côté, de l'utiliser correctement pour penser l'actualité. Mon intervention portait la marque de cette actualité ; les exemples que je donne, que je n'ai que peu actualisés, le montrent bien. La base de cet article date d'avant l'élection de Macron, date des dernières présidentielles.



Il est devenu très facile de faire trembler dans les chaumières et oublier la légitimité de certains combats ou de certaines revendications : il suffit de mettre ces derniers sous la bannière de la radicalité. La radicalité c'est la grande inquiétude de l'époque : on lui dédie des observatoires (l'observatoire des radicalités politiques, lié à la fondation Jean Jaurès), on s'inquiète de ses effets sur la politique, on s'interroge sur ses mécanismes. On ne sait si on doit l'analyser en termes de conviction politique, de dérive sectaire ou d'alibi au crime. Le terrorisme bien entendu exacerbe les inquiétudes, mais c'est bien toute la vie politique et diplomatique qui est prise dans ce processus de radicalisation. Fillon, Trump, Sanders, Corbyn, même Hamon ! ont été donnés comme autant d'indices de la radicalisation de la vie publique. Mais il est étonnant qu'un même mot désigne tout à la fois le devenir ultraviolent des religions et la polarisation des partis politiques, laissant entendre qu'un parti socialiste qui se repositionnerait à gauche serait dangereux.
Alors bien sûr on peut essayer de distinguer usages populaires, ou courants, et usages scientifiques, précis, mais même ça ça ne nous aiderait pas forcément. C'est que si l'observatoire des radicalités politiques présente un concept, législatif, clair et limité de la radicalité :

« À partir de l’état du droit, il est donc possible d’identifier plusieurs caractéristiques de la « radicalité politique » : l’atteinte à la forme républicaine de gouvernement, l’atteinte à l’intégrité du territoire, l’existence de liens avec la Collaboration ou avec toute entreprise de réhabilitation de celle-ci, l’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence.La radicalité idéologique s’accompagne très régulièrement de l’usage de la violence militante, selon des formes elles aussi listées par la loi : manifestations armées, pratiques paramilitaires, terrorisme, atteinte grave à l’ordre public. »https://jean-jaures.org/nos-productions/definir-la-radicalite-pour-mieux-la-combattre

les définition sociologiques peuvent parfois laisser à désirer. Anne Muxel, dans son étude sur la radicalité et les lycéens (Publiée aux PUF : La tentation radicale, pas encore lue), affirme que la radicalité « suppose un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système politique, social, économique, et plus largement avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société ». C'est dire à quel point déjà le radicalisé est louche, lui qui vise à prendre ses distances avec la société, indépendamment de ce qu'il peut y avoir de révoltant dans ladite société. Mais on passe de l'effarant au terrifiant quand elle ajoute que

« dans le domaine politique par exemple, nous interprétons comme radical le fait de voter pour des partis hors système ou extrémistes, de participer à des actions protestataires comme les grèves ou les manifestations ».

Donc manifester, défendre ses droits, qui sont aussi les droits des autres citoyens, c'est être radical ? Participer par le vote au processus démocratique, c'est se « séparer de la société » ? On croit rêver. Et je rêve peut-être d'ailleurs, puisque pour vérifier ce jugement que je portais à l'époque sur une enquête dont je n'avais lu que le compte rendu, détaillé certes mais enfin, sur le site de l'INSEE, j'ai découvert qu'elle distinguait une radicalité « de rupture » d'une radicalité « de protestation ». Le vote « extrême » entrerait peut-être dans cette dernière, mais la présentation que j'avais lu à l'époque était là-dessus loin d'être claire. Toujours est-il qu'affirmer que manifester ou participer à des grèves sont des actes radicaux alors qu'ils sont garantis par le droit est déjà pour le moins inquiétant et semble la caution scientifique de toutes les brutalités policières.

Si l'enquête sociologique pèche par une définition trop large, l'usage courant du terme pèche par une absence totale de signification claire. Cet usage courant, pléthorique, est tantôt positif tantôt négatif et sert généralement à disqualifier ou à glorifier. Il est synonyme de violence, d'une violence définitive, d'intransigeance, donc renvoie au refus d'entendre l'opposition et de l'accepter, au rejet des compromis au profit de la position la plus tranchée, la plus absolue, la plus outrancière parfois. Ainsi un changement de vie radical est à la fois violent, soudain, absolu et tranché, il fait passer d'un mode de vie à son contraire. Ce refus du compromis et du débat mène facilement à l'isolement, soit que cet isolement soit voulu, recherché, on parlera alors d'isolationnisme, soit qu'il soit subit. On parlera alors d'ostracisme. On peut parler de « véritable campagne d'ostracisme » quand la CGT se fait attaquer à cause de sa « radicalité » (ils auraient « bloqué la France »), quand F-O. Giesberg la compare à Daesh dans les pages du Point, y affirme que la CGT est une « menace », sous-entendu une menace terroriste.
Cet usage se contente de reconnaître cette violence, ce qui dans notre contexte social est déjà une condamnation, puisque ce n'est pas l'intransigeance, le refus, l'enfermement sur des positions tranchées, l'affirmation définitive d'une idée ou d'une identité qui est valorisée et reconnue, mais au contraire une certaine fluidité, le dialogue, les qualités d'adaptation. Cet usage ne cherche jamais les causes ni les raisons de cette radicalité, ni à chercher si elle est justifiée. Mais bizarrement cette radicalité est jugée positive et même nécessaire dès qu'il s'agit de défendre les siens. La radicalité se teintera alors de courage, si ce n'est d'héroïsme, là où, jugée négativement pour discréditer les ennemis, elle est donnée comme la source de tous les maux. Ce qui fait que Jean-Marie Le Guen peut condamner sur RTL le 28 février 2017 Benoît Hamon à cause de sa position radicale, affirmant que ce dernier s’est mis dans « une impasse stratégique » en raison de son « programme de rupture avec sa famille politique », qui serait « un programme d’une gauche radicalisée ».

« Il s’est isolé en tenant un discours extrêmement radical, isolé par rapport à sa propre famille politique, la social-démocratie, le social-réformisme. C’est un socialisme de rupture qu’il propose. Or, nous, nous sommes pour la réforme, c’est la tradition du Parti socialiste. » (Marianne)

alors qu'autour de François Fillon, on tenait à défendre son « programme radical », économique, contre la précarité. Ainsi pouvait-on faire de la « radicalité » de Fillon le « 1er critère de vote » à la fin de l'année 2016, apportant comme preuve ce témoignage dans les pages d'un journal quelconque : « Il faut des mesures radicales, approuve Marie-Caroline Mulot, 67 ans, ancienne professeur d'économie en lycée privé. Je crains qu'un candidat trop consensuel ne tergiverse. » On est ici pas très éloigné de ce que Macron disait lui-même pendant sa campagne présidentielle :

« Je suis confiant dans la capacité qu’a notre pays à se transformer et à réussir ces défis [...] La France est un pays irréformable, mais nous ne proposons pas de le réformer. Nous proposons une transformation complète, radicale. Un changement de logiciel sur beaucoup de sujets »

On voit dans les propos de Le Guen tous les caractères et les conséquences de l'usage courant de la notion : l'intransigeance (la rupture contre la réforme, le débat, la concertation), la violence, et tout à la fois l'ostracisme (le refus de donner son parrainage) et l'isolationnisme (« il s'est isolé »). Dans ceux des soutiens de Fillon ou dans la bouche de Macron la recherche d'une radicalité synonyme de solution définitive, de décision tranchée, de courage politique. De changement souhaitable, qui paradoxalement n'est que la continuation de ce que l'on connaît déjà. Cela ne permet en rien de savoir si la radicalité est une menace ou un bienfait, s'il faut la condamner ou la rechercher. Pourquoi ce qui est admiré chez Fillon, chez Macron, est rejeté quand il est endossé par Hamon ou par Martinez et la CGT ?
Inutile d'attendre après la philosophie pour trouver la réponse, le bon sens y suffit : c'est que le mot est creux, purement polémique. Comme les mots imaginés par Orwell dans 1984, ils servent à louer l'ami et à critiquer l'ennemi, le même mot servant à tout, ruinant l'esprit de nuance et la capacité de penser. Radicalité, tant qu'on en aura fixé un sens clair et univoque, n'est rien d'autre que de la novlangue. Notre travail dès lors est d'abord de toujours remplacer le mot par un synonyme, comme violence, intransigeance, absolu, etc. afin d'annuler l'effet polémique et intimidant du terme, ensuite de chercher un sens restreint du mot afin de pouvoir en déterminer un usage légitime.

mercredi 11 septembre 2019

L'affaire Moix


Je m'étais juré mi-août de ne plus lire la presse jusqu'à la mi-septembre afin d'échapper à tous les articles plus ou moins navrants sur l'école et la rentrée. J'ai changé d'avis pour pouvoir suivre l'affaire Yann Moix. Non pas que ce type me plaise ou rien mais j'avais décidé de l'utiliser dans une de mes nouvelles : un type écrit un manifeste, veut pousser tout le monde à un suicide altruiste (tuons-nous ça sauvera la nature). Mais ce type c'est personne. Alors il veut l'envoyer à un mec célèbre qui portera ses idées. Trois ou quatre étaient envisagés, dont Moix, sniper de talk-show vite écarté car avec lui ça tournerait trop vite à la farce. Voilà l'avis que j'avais sur le bonhomme, et que j'ai toujours. Pas sérieux.
Pas assez pour que je m'y intéresse en tout cas. Mais toute cette histoire c'est quelque-chose. Voilà un feuilleton médiatique tout en rebondissements qui soulève plein de questions intéressantes et les laisse retomber au sol comme de la merde irrésolue.

D'abord, la question c'était celle de la frontière entre le roman et le récit, l'affabulation et le souvenir, la littérature et la confession. « Récit » des sévices subis durant son enfance, avec témoignages des amis de l'époque, très évasifs, venant s'opposer aux propos tenus par le frère et le père. C'est au cours de l'enquête sur ce passé, sur la véracité des faits, que sont ressortis les numéros du fanzine négationniste dans lequel Moix a écrit et dessiné. Alors vient le second moment, très confus : a-t-il été antisémite ? À cette question pas de vraie réponse mais une série de fuites, d'esquives. Il n'aurait fait que des dessins et même s'ils sont antisémites, lui ne l'était pas, juste un paumé. Quand on fait remarquer publiquement qu'il a écrit des pages et des pages ouvertement négationnistes, il reconnaît la chose, mais ne s'excuse bizarrement que pour les dessins, et quant à ses accointances, il botte en touche. Enfin on en arrive au troisième temps où des personnalités prennent ouvertement sa défense.


L'affaire Claire Nouvian


Pour l'essentiel, les débats consistent à prendre position pour ou contre Moix et c'est là le piège même de ce type de débat : parler de lui en mal concourt malgré tout à en faire un personnage incontournable, important, et à donner envie de lire son livre, de s'intéresser à lui. Pour éviter cet écueil il faudrait plutôt s'intéresser au cadre dans lequel cela se passe.
Prenons d'abord un autre exemple :

Quand Claire Nouvian, après être passée, sans s'être informée sur l'émission, son format, son ton, etc. dans l'émission de Pascal Praud, « l'heure des pro », s'alarme à juste titre de ce qu'elle a vécu, on en fait un débat sur le sexisme et le climato-scepticisme. Ce serait affirmer que Pascal Praud a des convictions. C'est vraiment trop préjuger du bonhomme. En l'attaquant lui, en relançant la discussion sur le sexisme et l'enjeu climatique, on fait de Pascal Praud un interlocuteur. Il fallait faire le débat de l'information télévisée et dénoncer cet oxymore intenable.
Pourquoi sommes-nous systématiquement pris entre un Bourdin, un Praud, qui malmène l'invité et l'agresse ostensiblement et des poseurs de questions vaporeux qui ne montent jamais au créneau quand on leur débite des horreurs ? Pas parce que les uns sont des crétins et les autres des fachos mais parce que la télé est une structure qui impose, en 3 minutes de séquence, soit le plan-plan soit l'outrance. Question de standing de chaîne et de créneau horaire. Or là fallait quand-même se rendre compte qu'on était chez Bolloré. Le mec a dégommé le zapping, a dégommé les émissions d'investigation, c'est-à-dire de journalisme, sur une chaîne info c'est quand-même la base, mais a gardé Praud ! Quand on se dit ça on se doute que ça va être plus gonzotainement qu'infotainement ! Typiquement le genre d'endroit que Bourdieu conseillait de fuir …

Mais plus généralement, de toute façon, l'info et le sérieux à la télé, c'est par tranches millimétrées entre le sujet suivant et la guerre à la bonne vanne que se livrent les chroniqueurs. C'est pire dans les émissions de débat, genre Praud justement, ou le débat est réduit à une foire d'empoigne entre les partisans du bon-sens égrillard et les mecs qui rament pour dire deux phrases sensées. Après tout, il est toujours plus facile de creuser dans les ornières que de se creuser les méninges et pour cela il n'est pas besoin d'avoir des convictions, juste d'avoir envie de garder sa place à la télé.

C'est si vrai d'ailleurs que malheureusement je crois que c'est Gilbert Collard qui a le mieux compris l'info télé et qui en use le plus adéquatement : en se vautrant dans la fange … Il arrive sur un plateau, insulte les uns et les autres, lâche une bombe, un truc monstrueusement faux, invective et repart. Il a dit son truc, sans réplique—ce qui donne l'impression qu'il a raison, et a fourni une séquence courte, mouvementée, calibrée pour les réseaux sociaux. C'est de la merde intégrale mais c'est ça qui marche. Et tant que ça sera ainsi, il sera pas possible de faire valoir des points de vue progressistes dans les émissions d'information, parce qu'il y a toujours ce besoin de creuser dans les ornières, pour pas fatiguer le téléspectateur qui consomme l'information comme un produit détente. Là encore c'est pas de la faute au spectateur, mais à ce vaste complexe organique qu'est la télévision.

L'affaire Moix



Au delà des questions de personne, on a aussi ici affaire à des débats purement structurels.
Sont en jeu le rôle, la nature des écrivains aujourd'hui et les liens qu'ils entretiennent entre eux, conflit ou entraide. En jeu aussi la place et l'usage des luttes dans les grands médias. Si pour l'épisode Nouvian il aurait fallut relire Sur la télévision de Bourdieu et La fabrication du consentement de Chomski, ici c'est plutôt Dernières nouvelles du spectacle (ce que les médias font à la littérature) de Vincent Kaufmann qu'il faut rouvrir.

Kaufmann nous dit que les médias se sont repliés sur eux-mêmes et ne se nourrissent plus que de ce qu'il y a dans les médias. Ils ne sont plus un moyen d'apporter au grand public ce qui est digne d'intérêt et qu'il ignorerait sans ça, mais ils sont devenus l'outil de leur propre visibilité : d'où l'intérêt immense de ces émissions, ces talk-show, dans lesquels on commente à la télé ce qui a été diffusé … à la télé. Or ces médias ont permis l'émergence d'une économie de la visibilité dans laquelle ce qui compte le plus est ce qui est le plus partagé, le plus vu, le plus diffusé. L'auteur en subit nécessairement les conséquences : pour continuer à exister, il doit se métamorphoser. Les essayistes l'ont fait : ce sont les « nouveaux philosophes », qui ont inventé le style publicitaire en philosophie, et en ce qui concerne la littérature, c'est l'autofiction qui a permis de réinventer l'auteur, d'ermite soucieux du travail de la langage en personnalité publique. Or ce monde régi par l'attention est un monde ultra-compétitif où l'écrivain est en concurrence avec tous ceux qui passent devant une caméra. Les autres écrivains donc, mais aussi les Chtis à Mikonos et les plats de nouilles dans le slibard.

Le spectacle selon Debord se donne comme le seul bien possible, comme désirable. Mais pourquoi l'est-il, pourquoi est-il devenu désirable pour tous, pourquoi non seulement les marchands mais les individus—et les auteurs en particulier—se battent-ils pour quelques poussières d'attention, pourquoi autant d'individus sont-ils prêts aux sacrifices les plus surprenant et souvent les plus repoussants pour obtenir leur place au soleil ou plus exactement devant une caméra ? (p63)



L'aveu, l'authenticité, la comparution : « grammaire du spectacle »


Or l'écrivain en quête de gloire doit pour passer à la télé se soumettre à l'exigence de transparence, doit parler de lui avant tout : c'est que « le spectacle, c'est également une culture de l'aveu. »

C'est par l'aveu, par l'exhibition de son intimité que le sujet se transforme le plus immédiatement et le plus facilement en marchandise. Payer de sa personne, dans le cadre d'une économie de la visibilité, cela veut dire très souvent avouer, se confesser, jeter son intimité en pâture aux spectateurs ou aux lecteurs. (p105)

Du coup quand Moix, qui a toujours voulu être écrivain, toujours voulu être de ceux qui en sont, dit qu'il ne trouve pas désirables les femmes de son âge mais préfère les jeunes, derrière le topos sexiste, il n'y a ni l'abjection ni le courage de dire son désir tel qu'il est, simplement la marchandisation d'un écrivain qui doit pour exister non pas écrire mais parler de lui en permanence et se forger une image de marque. Or qu'attendre de plus d'un type qui sans s'étouffer dans sa connerie affirme être le dernier punk français ? Tout ça c'est image et distinction et sans doute, comme avec Praud, est-on ici face à a un homme sans conviction. Un homme qui se contente de faire ce qu'il faut pour être là où il faut, sous le feu des projecteurs. D'où sa volonté arrivé à Paris de rencontrer BHL. De se mettre sous son aile. D'où la nécessité pour lui d'écrire sur son enfance, d'exhiber encore plus son intimité.

Mais comment avouer avoir martyriser son frère, avoir été tyran, alors qu'on se donne pour être le grand défenseur de la veuve et de l'orphelin, qu'on se vante d'avoir été le premier et le seul écrivain, le seul intellectuel à avoir fait vaciller Macron, à l'avoir jeté dans les cordes à propos de sa gestion des migrants ? Facile : il suffit de passer cela sous silence et de voler la vie d'un autre, de se livrer à un « plagiat psychique » (c'est de cela que Camille Laurens accusait Marie Darrieussecq après que cette dernière ait elle aussi écrit sur un enfant mort-né, mais sans avoir vécu la chose. Elle l'accusait de lui avoir volé son expérience et ses affects, mettant en avant non les qualités littéraires mais l'authenticité de l'expérience). Et bien là aussi il y a apparemment vol d'expérience intime : en se donnant comme victime alors qu'il aurait été bourreau, il vole l'expérience intime d'un être qu'il cherche à faire disparaître à tout prix et s'invente un récit qui lui donne le bon rôle, celui, justement, de l'écrivain : un homme sauvé par la lecture et par son éditeur, un homme qui a fui une enfance horrible pour n'exister plus que par les œuvres audacieuses qu'il dévorait. C'est un beau récit mais à l'ère de l'authenticité à tout prix cet escamotage ne peut pas passer. Pas même en jouant sur les mots (un roman dans lequel on dit que tout est vrai est une autofiction et on y veut la vérité). Parce que la machine exige qu'on se livre absolument, qu'on dise la vérité telle qu'elle est, qu'on s'exhibe et quand on ne le fait pas, c'est la comparution immédiate.

Tout commence avec la comparution, avec l'entrée dans le spectacle, qui a toujours quelque chose de l'entrée dans un tribunal. Apparaître dans le spectacle, c'est comparaître, c'est y apparaître pour y être jugé, non pas parce qu'on aurait commis un crime, mais simplement parce qu'on y revendique une place. Qu'avez-vous à dire pour votre défense, c'est-à-dire pour justifier votre présence, qu'avez-vous fait pour mériter la visibilité dont nous vous créditons, la place que vous prenez implicitement à un autre ? Au nom de quoi revendiquez-vous votre petite tranche de visibilité ? Quel prix êtes-vous prêt à payer pour qu'on vous accorde du temps et de l'attention, quelles sanctions, quelles humiliations êtes-vous prêt à subir ? […]
Inversement, serez-vous capable à votre tour de vous transformer en juge, de participer à la curée s'il le faut, d'envoyer des vannes et d'autres invités dans les cordes ? Quelles humiliations infligerez-vous à d'autres aspirants à la gloire, de qui vous moquerez-vous, qui dénoncerez-vous, qui accuserez-vous si vous en avez l'occasion ? L'économie de la visibilité est hypercompétitive parce que fondamentalement exclusive. (…) Par conséquent c'est aussi une économie fondamentalement agressive, et le spectacle est la mise en scène de cette agressivité. (pp102-103)

Et c'est piquant de voir ce juge de plateau comparaître, la queue entre les jambes et déconfit, tout en dénégations, comme un Clinton en plein Lewinsky-gate. C'est piquant—et cela montre la justesse des analyses de Kaufmann—de voir que France 2 a jugé l'émission d'ONPC dans laquelle Moix s'excusait trop complaisante, pas assez saignante. Cela montre aussi qu'il n'y a pas à croire en une reconversion de Moix et s'il a été antisémite il l'est encore : ses ruptures d'amitié avec les négationnistes encombrants, c'est stratégique, sa lutte contre l'antisémitisme aussi. Tout est question de montrer le moins de faiblesses possibles et d'attaquer le plus durement. Or l'article du Monde Diplomatique, Antisémitisme, l'arme fatale montre bien que l'attaque en antisémitisme, dont Moix était coutumier, c'est une attaque contre laquelle on ne peut pas se défendre même, et surtout, quand elle est délirante. C'est aussi une arme dont abuse … BHL. Son mentor. Car si on doit exister par l'aveu, dans le cirque médiatique, on a plus facile aussi à y exister par l'engagement, même de façade. Sa participation à ONPC, comme sniper, a certainement été pour lui une formidable incitation dans cette voie. Ainsi de Natacha Polony lancée dans une quête frauduleuse pour la liberté d'expression et la pluralité d'opinion avec son comité Orwell—excusez du peu. Après avoir snipé dans ONPC. Comme Zemmour, découvert par ONPC, pris dans un gourbis d'extrême droite avec Marion-Maréchal LePen. Et on pourrait en citer plusieurs encore. Mais avec ce que dit Kaufmann, on comprend mal la douceur fraternelle avec laquelle Onfray, BHL, parlent de Moix, la douceur des juges de ONPC. C'est facile : Onfray, BHL et FOG sont tous chez Grasset ...