Mais
en quoi est-ce la faute de la pierre et de la maison tout ça ?
L'homme n'a-t-il pas été ainsi déjà dès le paléolithique, dès
les temps les plus reculés ? Il suffit de regarder la Guerre du
feu : tout n'y est que viols, meurtres, violence absurde comme
dans une version trash des Flintstones. Et même les premières
traces d'humanité, le rire, y sont grotesques : la première
forme d'humour c'est définitivement le slapstick : ce qui y
déclenche les rires, c'est une pierre jetée sur la tête d'un
autre, c'est dire le niveau …
Spark becomes a flame
Flame becomes a fire
Light the way or warm this
Home we occupy
Flame becomes a fire
Light the way or warm this
Home we occupy
Spark becomes a flame
Flame becomes a fire
Forge a blade to slay the stranger
Take whatever we desire
Deuxième
partie de chanson, il y est question du feu et de la forge. Alors le
feu, c'est une très vieille invention, on l'utilise régulièrement
depuis -400 000 ans, et pour faire court je dirai qu'elle nous a
raccourci la mâchoire. Cela pour dire que l'homme, dans son corps
même, est le produit de sa technique. J'avais fait de longues
recherches sur les manières de faire du feu, mais j'ai pas envie de
trop m'éloigner de la chanson elle-même. Disons simplement que
depuis le début on connaît deux manières de faire, soit par
frottement, en faisant tourner un bâton sur un bout de bois plus
tendre, soit par percussion, non pas en utilisant deux silex, ça ça
marche pas, mais en frappant un silex sur de la pyrite, afin
d'enflammer par une étincelle de l'amadou ou toute autre substance
inflammable. Ce feu est à la fois chaleur et lumière et sert donc à
tout puisque on a besoin de chaleur et de lumière pour pas mal de
choses. On se réchauffe, on cuit les aliments, on fabrique des
outils, on s'éclaire, on éloigne les prédateurs, etc. Dans les
films on cautérise même les plaies à la flamme, mais je ne sais
pas si nos lointains ancêtres se sentaient l'âme d'un Rambo. De
toute façon Maynard ne veut pas nous faire un cours sur les divers
usages du feu, mais là encore sur sa profonde ambivalence : on
est tiraillé, mis en tension entre des usages bienveillants, on
éclaire le chemin pour éviter les dangers et on rend le foyer
chaleureux, et d'autres malveillants en créant des armes pour aller
piller le voisin. Ici on pourrait vraiment croire à une alternative
entre les deux types d'usage, mais ce ne serait pas raccord avec ce
qu'on a déjà dit. On aurait du mal pourtant à défendre l'idée
qu'il y a là une conséquence entre les deux : ce n'est pas
parce qu'on a un foyer chaleureux qu'on va aller massacrer les autres
pour prendre ce qu'ils ont, un foyer chaleureux inviterait plutôt à
rester chez soi. On est contraint de dire qu'à ce moment de la
chanson l'homme est devenu fou avide de richesses, qu'il est prêt à
tous les crimes et qu'il abandonne toute raison, tout ça parce qu'un
type un jour a construit une fichue maison, s'est approprié
définitivement une partie du monde et à rendu tout le monde
sédentaire. Comme l'écrivait Rousseau :
« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou combattant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne. Mais il y a grande apparence, qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient ; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain. »
Pour
Rousseau comme pour Tool, dès qu'il y a des maisons de construites,
des lopins de terre distribués, des entraves au mode de vie nomade,
c'est la guerre et c'est plus qu'une question de temps avant la levée
des armes. D'ailleurs, parlant d'armes, qu'entendre au juste par
« blade » ? Car des lames, il y en a déjà sur les
outils, couteaux et autres, qui servent d'abord à la chasse et aux
diverses travaux et ne sont pas directement des armes. Sans doute
est-ce là une métonymie classique : par « lame »,
il faudrait entendre « épée ». Dans tous les cas, il
nous faut nous demander à quelle époque est-ce que les premières
armes ont été inventées et si l'homme, avant cela, était déjà
criminel. Ça permettra de résoudre notre problème : si les
hommes s’entre-tuaient avant même d'avoir les armes pour le faire,
alors la thèse que l'on développe ici, à savoir que l'homme est
violent à cause des objets techniques dont il s'entoure, ici la
maison, tomberait à l'eau.
Contrairement à ce que l'on pourrait
croire, l'homme n'a pas toujours été violent. Il est pas du tout
méchant par nature, irrécupérable et du genre à mettre les
chats dans des sacs et les sacs dans la rivière. La violence n'est
pas inscrite dans notre code génétique ou ancrée dans notre
nature. Le film de Jean-Jacques Annaud est sans doute un peu
mensonger là-dessus, mais n'oublions pas qu'il est tiré d'un livre
datant de 1911, écrit par un auteur de science-fiction, et qu'à
l'époque la préhistoire s'écrit à coups de fantasmes exotiques
plus qu'autre chose. Pour l'essentiel, tout porte à
croire qu'au paléolithique, l'homme était paisible et soucieux de
son semblable ; vivant en petits groupes nomades, il avait tout
intérêt à avoir des rapports cordiaux avec les autres groupes, ne
serait-ce que pour faire circuler les femmes—comme disent les
anthropologues, et éviter ainsi un inceste galopant qui aurait
rendu trop bizarres les repas collectifs au coin du feu et du reste,
rapports paisibles d'autant plus facilités que les ressources
existaient en abondance dans de vastes territoires peu peuplés dans
lesquels il était toujours plus simple de s'éloigner des gêneurs
que de se lancer dans un conflit dont l'issue aurait été plus
qu'incertaine. On était bons au début, « pure as we begin »
au milieu d'un « Eden assez vaste et assez riche pour tous »
(Right in Two).
C'est en tout cas ce que nous révèle
Marylène Patou-Mathis, Directrice de recherche au Centre national de
la recherche scientifique (CNRS), département préhistoire du Muséum
national d’histoire naturelle (Paris), dans un article du Monde
Diplomatique : « Non, les hommes n'ont pas toujours fait
la guerre. »
« au cours du néolithique, le besoin de nouvelles terres à cultiver entraînera des conflits entre les premières communautés d’agropasteurs, et peut-être entre elles et les derniers chasseurs-cueilleurs (…) Une crise profonde semble marquer cette période, comme en témoigne aussi le nombre plus élevé de cas de sacrifices humains et de cannibalisme.
Alors que les sédentaires peuvent accumuler des biens matériels, les chasseurs-cueilleurs nomades disposent d’une richesse nécessairement limitée, ce qui réduit également les risques de conflit. De plus, l’économie de prédation, à la différence de l’économie de production, qui apparaît avec la domestication des plantes et des animaux, ne génère pas de surplus. L’histoire a montré que les denrées stockées et les biens pouvaient susciter des convoitises et provoquer des luttes internes ; butin potentiel, ils risquent d’entraîner des rivalités entre communautés et de mener à des conflits. »
C'est étonnant de voir à quel point
Rousseau avait pu tomber juste, lui qui prétendait pourtant
« écarter tous les faits ». Les guerres, l'inquiétude
généralisée, la violence, le cannibalisme—ça c'est fou, les
maladies aussi parce que les stocks attirent les rongeurs et qu'on se
retrouve à vivre entouré de nuisibles, tout ça vient de ce qu'on a
décidé de construire des maisons. Alors, oui, pas seulement, en
fait on a construit des maisons sans doute parce qu'on a décidé de
rester près des cours d'eau, dans les régions fertiles où l'on
pouvait se livrer à l'agriculture, les maisons fixes n'étant qu'une
conséquence de cela. Mais la chanson parle pas de la culture des
champs, alors zappons. Gardons en tête que l'homme paléolithique
est nomade et paisible, quand le néolithique lui est sédentaire et
ultraviolent. La question qui reste à soulever, de quand datent les
premières armes, trouve tout de suite sa réponse. Elles datent du
néolithique. Elle est l’œuvre du sédentaire ensauvagé.
Mais d'abord une distinction s'impose.
Il ne faut pas confondre l'arme par destination de l'arme par nature.
L'arme par destination est une arme accidentelle. C'est un objet
naturel ou un artefact que l'on détourne de son usage afin de tuer
quelqu'un quand la nécessité ou l'occasion se présente. Ainsi
d'une corde, d'un trophée, qui ne sont pas conçus pour tuer mais
qu'on peut utiliser pour ça. Ainsi de la tronçonneuse et de la
tondeuse à gazon. Ainsi de la pierre, du couteau, de l'outil
agricole et de l'arc de chasse que les paléolithiques ont bien dû
utiliser parfois pour tuer, même si la chose semble rare. L'arme par
nature, elle, est conçue dès le départ pour tuer et ne sert
absolument qu'à ça. Les armes par nature apparaissent très
tardivement. Dans Par les Armes, Anne Lehoërff nous dit que :
« les objets les plus anciens, datables du début de la fin du IIIe millénaire et du IIe millénaire avant notre ère (le bronze ancien) qui se rapprochent le plus de l'épée, et pourraient être à l'origine de son développement, sont des lames triangulaires courtes de deux types : des lames avec une poignée dont la manipulation n'est pas sans rappeler l'épée. Ce sont des poignards ; des lames triangulaires fixées par rivetage sur un manche vertical et que l'on appelle des hallebardes. Ces deux catégories morphologiques dans lesquelles on peut déceler les prémices des épées existent au IIIe millénaire, dans un autre matériau, la pierre et tout particulièrement le silex. »
Apparition tardive qui peut avoir des
causes sociales, il faut attendre un long développement pour que la
société se stratifie jusqu'à produire une classe de travailleurs
dévolus entièrement à la protection des villes, et par là à
l'agression des autres villes, qui peut avoir aussi des causes
techniques. Une arme doit pouvoir certes tuer, mais doit aussi
pouvoir parer. Or les outils en pierre et les haches en bronze du
néolithique ne le permettent que trop peu. Il faut un patient
travail pour trouver les bons alliages de métaux ainsi que les
bonnes méthodes pour fabriquer des lames solides et sans défauts,
des lames donc qui ne se briseront pas quand on les frappe. C'est en
tout cas ce qu'affirme Anne Lehoërff dans son livre. Pour donner une
idée de ces obstacles techniques, l'épée en fer n'apparaîtra
qu'entre le IXe et le VIIIe siècle, et avec elle on pourra commencer
à voir naître les guerres homériques, les guerres de rapine et de
déprédation qui forment la trame humaine des mythes grecs. Il est
important de noter que si à la base ces armes ont été conçues
pour la défense de la ville, il était inévitable que, tôt ou
tard, elles servent à l'agression. Encore une étape dans
l'évolution de la mentalité de l'homme en route vers une sauvagerie
définitive. Cela parce que l'arme transforme les situations et les
êtres qui y sont pris. L'arme transforme l'autre en ennemi et soi en
héro. Wolfgang Sofsky nous le dit dans son Traité de la Violence :
« L'arme est instrument et signe de mort. C'est pourquoi elle modifie la situation de l'homme dans le monde et change ses rapports avec l'espace et le temps, avec autrui et avec lui-même. […] La conscience de sa force entraîne une prédisposition à la violence. L'arme donne du courage, elle fournit aux intentions un objectif et une forme. »
Ainsi les pulsions de l'individu, ces
désirs informes qui bouillonnent et pousse à l'action quelle
qu'elle soit, vont avec l'arme et à partir d'elle se modeler autour
de l'idée de tuer, de menacer, d'exercer sa force, son courage, sa
domination et incitera l'individu armé à faire usage de son arme.
Sans elle, ces pulsions se seraient manifestées autrement, se
seraient donné d'autres objets et d'autres buts. Wolfgang Sofsky le
dit bien :
« Sans armes, pas de violence. L'arme rend la violence possible et la limite. […]
Non seulement l'objectif est à la recherche de ses moyens, mais les moyens eux-mêmes cherchent des objectifs. L'arme à la main, le fauteur de violence est à l'affût de cibles nouvelles. Il répugne à laisser passer les occasions d'agir que son arme l'aide à trouver. Inversement, il pousse résolument à l'invention incessante d'armes nouvelles répondant à ses ambitions. C'est cette circulation—technique, intention, action—qui confère à l'arme sa valeur d'usage. »
Ce qui nous permet d'affirmer que dès
que l'homme conçoit les premières armes par nature, c'est
nécessairement que l'usage des armes par destination est important,
massif même et normalisé, à tel point que leurs limites sont
parfaitement connues comme le besoin d'armes nouvelles venant
compenser leurs défauts. Besoin qui mènera à la fabrication des
poignards, des hallebardes et enfin des épées, ces armes par
excellence.
Nous pouvons donc affirmer plusieurs
choses :
D'abord, que la haine en nous a beau
être ancienne, elle n'est pas pour autant naturelle et 10 000 Days
nous offre un résumé light mais pas faux des étapes par lesquelles
elle s'est enracinée en nous. Ensuite, et pour ce qui est
d'aujourd'hui, que la possession d'une arme pousse à l'utiliser. Ce
qui se sait : c'est aux USA, le pays qui délivre le plus de
permis de port d'arme, qu'il y a le plus de mort par arme à feu avec
une moyenne de 28 homicides par jour. L'an passé, il y a eu 10 129
morts par armes à feu, des suicides en majorité qui d'après ce que
l'on a dit n'auraient pas eu lieu sans la présence de l'arme. Qu'on
leur mette des guitares dans les mains plutôt. On a compté 254
tueries de masse l'an passé, on en a déjà 297 cette année. C'est
tout bonnement ahurissant. On pourra accuser les jeux vidéos, le
cinéma, les discours de Trump, la principale cause en fait est
simplement la circulation des armes à feu, qui se trouvent des
débouchés à travers le désespoir des uns et les idées
géopolitiques des autres.
J'ai pas souvenir que Tool ait écrit
sur les armes, Maynard est de toute façon connu pour adorer les
armes à feu. Il s'est même fait offrir un fusil mitrailleur en
hommage à un soldat mort, fan de Tool, qui avait écrit sur le sien
ces paroles tirées de Vicarious : « the universe is
hostile. So impersonal. Devour to survive. So it is so it's always
been ». Alors plutôt que de rester sur Tool, on va mettre un
titre génial de Ugly Mus-tard. Un vieux groupe de rock indus
américain, le leader est farouchement anti-armes, ce qui est drôle
pour un mec qui vit au Texas (à sa décharge, il vit à Austin,
c'est un peu hippie là-bas) et les paroles de la chanson, la
dernière de l'album, sont du genre glaçantes, comme la musique, qui
reprend le leitmotiv de Downward spiral.
Cette chanson c'est le monologue d'un
jeune qui se fait marcher dessus et qui une fois qu'il découvre une
arme, vit un truc très puissant avec, le présente comme son
« ami », le présente aux gens autour de lui et prend
ainsi sa revanche sur eux, mais surtout il devient à ses propres
yeux « un homme », il ressent sa puissance pour la
première fois et a enfin accès à tout ce qui lui manquait avant :
« la tranquillité, de l'importance, quelque chose à faire,
l'amour, la force », il dit même que son « ami ne lui
permet pas de faire quoi que ce soit d'autre » : que
menacer, tuer, ruiner la vie des autres et à la fin se tuer :
« Je ne mérite pas cette vie, je ne l'ai jamais méritée, mon
ami m'emportera vers un monde meilleur ». Ambiance.
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