Il y a des expressions qui fleurissent
et s'imposent dans les débats. Radicalisation par exemple. Qu'elle
soit islamiste, d'extrême gauche ou droite, là où avant on
distinguait les situations, maintenant on a cette grande notion
fourre-tout dans laquelle on peut mettre tout ce qui gêne.
Récupération pareil, pas un mouvement aujourd'hui, depuis 2016 j'ai
l'impression, qui n'émerge sans évoquer sa crainte et son refus
d'être « récupéré ». Et ils sont plein comme ça ces
concepts creux, ces mots-écran dont il serait je pense dangereux de
donner une définition claire. Ça limiterait drastiquement le
sex-appeal de ces mots, si je peux dire les choses ainsi, et
restreindrait fatalement leurs usages permis et leur capital
rassembleur. C'est dommage parce que ce sont des mots qui justement
semblent avoir plus de valeur oratoire que de contenu opératoire.
Ils font bien en bouche. Je préférerai qu'ils soient bien en tête.
En 2016, en plein dans le mouvement
contre la loi-travail, je m'étais fendu d'un article dans mon
fanzine de l'époque, Ellebore, pour essayer de donner des contenus
possibles à cette « convergence des luttes » qui était
sur toutes les lèvres. Encore aujourd'hui je vois très souvent
l'expression passer, mais toujours aussi peu définie. L'idée,
c'était que cet article devait être suivi d'autres, qui
croiseraient les luttes et testeraient leurs incompatibilités, leurs
miscibilité, etc. Sorte d'agence matrimoniale autant que laboratoire
cruel. En 2017, pour diverses raisons, tout ça restait dans les
cartons. Mais mes intrigues philosophiques actuelles me les remettent
dans les pattes. Ça, et la lecture d'articles divers sur internet.
Cet article, on m'en a peu parlé. Faut
dire qu'il était mal écrit. Et plus soporifique que polémique.
Dans un effort de clarification du langage et des idées, je
définissais d'abord précisément ce qu'on peut entendre par
convergence, puis assez vaguement ce qu'on peut entendre par lutte.
Je me livrais en fait à une série de typologies que je croisais
ensuite. Mais je pense que j'aurai pu aller plus loin. Donc allons
plus loin.
« Convergence des luttes »
tout le monde en parlait à l'époque. C'était un formidable slogan
mais très franchement c'était pas beaucoup plus. Beaucoup étaient
pour, mais ceux de lutte ouvrière avec qui je discutais levaient les
épaules à son évocation et on voyait bien qu'ils étaient contre
sans pouvoir réellement le dire. Quant à ceux qui faisaient leurs
les positons de tract « le monde ou rien », ils étaient
ouvertement contre. Mais à l'époque c'était bien les seuls. À
l'opposé, Nuit Debout en a fait son objectif, mais sans préciser
outre mesure ce qu'il fallait entendre par là. Résultat : ça
a été un formidable gâchis de bonnes volontés. Mais cessons de
parler des autres ; parlons de moi. Qu'est-ce que j'y mettais,
au juste, derrière cette expression ?
Un terme, des concepts.
Un concept a trois composantes :
un terme, une notion et une extension : c'est donc un mot avec
une définition stricte qui renvoie à une réalité délimitée. La
notion est produite par l'effort de définition, l'extension par
l'effort d'illustration, le terme lui-même est choisi à la fin par
un soucis de précision, afin de ne pas avoir les idées
embrouillées. Wittgenstein disait d'ailleurs que la philosophie
servait à dénouer des nœud dans l'esprit et c'était ça
modestement que je m'étais donné de faire avec cet article. Et pour
ça je remarquais déjà que la convergence est une notion trouble.
Ambivalente :
« l'idée de convergence implique des réalités de même espèce, qui s'harmonisent ou se rejoignent, sans pour autant remettre en cause leurs différences. Deux droites qui convergent se coupent en un point, elles n'en restent pas moins deux droites distinctes. Deux espèces qui convergent sont affectées de manière analogue par un même milieu, elles n'en restent pas moins des espèces distinctes. »
La convergence donc rapproche. La
notion géométrique de convergence nous fait dire qu'un point,
qu'une situation qui pose problème pose problème à plusieurs
niveaux, que donc des militants de divers « bords »
peuvent se retrouver impliqués côte-à-côte. Les articles récent
de Libération sur les conditions de travail des hôtesses d'accueil
montrent bien qu'il y a deux niveaux en jeu : d'une part la
vision dégradée de la femme, réduite à n'être qu'une sorte de
poupée gonflable, d'autre part un problème économique qui n'a
trait qu'à l'organisation du travail : des travailleuses
isolées les unes des autres, qui ne peuvent donc pas s'unir,
contraintes par une forte concurrence et le risque élevé de ne
jamais être rappelées en cas de révolte. L'autre notion de
convergence, biologique celle-là, dont la pertinence est plus
difficile à montrer, tend à dire que les diverses luttes évoluent
au cours du temps et se transforment d'une même manière en accord
avec l'époque. On est là pas loin de l'invérifiable. Disons juste
cela : si on estime que l'époque est beaucoup plus
individualiste qu'avant, nécessairement cela devrait se vérifier y
compris dans la manière de lutter contre les problèmes sociaux ou
politiques. Alors sans doute le fait de faire ses bocaux chez soi
« pour la planète » serait une manière individualiste
d'être écolo. Plus simplement, les réseaux sociaux ont
nécessairement modifié les manières de communiquer et d'agir. Donc
de mener les combats.
S'il n'y avait que ça, ça irait. Mais
en linguistique, quand deux langues convergent en raison de leurs
points communs, elles finissent par n'en faire plus qu'une. Il y a
une possibilité donc que la « convergence des luttes »
renvoie à une fusion de toutes les luttes en une seule. Ce qui
aurait pour effet de faire disparaître leurs disparités, leurs
spécificités. Et là c'est pas du tout, mais pas du tout la même
musique. Parce qu'alors il y des tensions possibles entre les vrais
combats et les autres : au début du XXe siècle, certains
considéraient que le féminisme bien compris, c'était la lutte des
classes, la lutte pour l'émancipation du travailleur, et qu'avec la
chute du capitalisme disparaîtraient aussi les problèmes
spécifiques à la situation des femmes dans la société. Il me
semble que c'était un des points de discussion entre Kropotkine et
Emma Goldman. À vérifier. On sait pourtant depuis Flora Tristan et
sa saillie sur la femme du prolétaire qu'il n'en est rien.
Pour séparer les deux, je proposais de
distinguer convergence « multiple » et « unitaire »
mais c'était vraiment faute de mieux. Autant y aller franco et
distinguer entre convergence et unification des luttes.
Cela afin de lever toute ambiguïté.
O.K. pour la convergence, mais les
luttes ?
Là je commençais par une longue
énumération :
« lutte contre le chômage, la précarité, le racisme, l'exclusion, le sexisme, l'analphabétisme, le capitalisme, la finance, la malbouffe, pour l'environnement, écologiques, politiques, économiques, intellectuelles, zones à défendre, manifestations, grèves et grèves générales, destructions, occupations, information, etc. »
et évidemment lutte contre tel ou tel
projet de loi. Il serait délirant de dire que tout ça c'est la même
chose et tout considérer de la même manière, mais il est
indéniable qu'on parle bien de lutte en chaque cas. C'est là que je
proposais un début de typologie. Cette typologie n'a évidemment
qu'un intérêt limité : elle devait juste aider à classer et
comparer les exemples exploités dans les articles qui auraient
suivi. Autant dire que je ne cherchais pas à définir ce qu'est une
lutte mais ce qui différencie les diverses luttes. Tenter une
définition générale d'ailleurs présenterait je pense peu
d'intérêt. Dire qu'une lutte est un combat mené dans le but de
faire valoir des intérêts, des idées ou une cause nous avance pas
vraiment. Il nous faut aller plus dans le détail.
On peut classer les luttes d'abord en
fonction de leur orientation (je laisse de côté leur
tendance politique).
On distinguera alors les luttes
offensives des luttes défensives. Les premières
« cherchent à renverser un état de fait pour en instaurer un
autre », les secondes « visent à sauvegarder des acquis,
un état de fait face au risque d'une dégradation ou d'une
destruction ». Cette différence était au cœur du refus de la
convergence exprimé par certains (tract le monde ou rien),
vue comme une simple association de luttes défensives inefficaces,
des illusions de lutte savamment cultivées, là où la seule vraie
lutte serait offensive. On le comprend, par ce mot il fallait surtout
entendre l'insurrection.
Mais l'insurrection n'est pas la seule forme de lutte offensive :
la promotion de nouveaux modes de vie, de nouvelles lois, de
nouvelles idées est aussi offensive, en ce sens qu'elle vise à
modifier activement la société.
On
pouvait lire dans Le monde ou rien :
Arrêtez de nous bassiner avec vos vieux trucs qui marchent pas : la « massification », la « convergence des luttes » qui n’existent pas, les tours de paroles et le pseudo-féminisme qui vous servent juste à contrôler les AG, à monopoliser la parole, à répéter toujours le même discours. Franchement, c’est trop gros. La question, c’est pas celle de la massification, c’est celle de la justesse et de la détermination. Chacun sait que ce qui fait reculer un gouvernement, ce n’est pas le nombre de gens dans la rue, mais leur détermination. La seule chose qui fasse reculer un gouvernement, c’est le spectre du soulèvement, la possibilité d’une perte de contrôle totale. Même si on ne voulait que le retrait de la loi travail, il faudrait quand même viser l’insurrection.
On
voit bien ici l'opposition dos à dos des luttes défensives, qui
n'en seraient pas, et des luttes offensives, l'insurrection.
L'insurrection n'est pas un moyen ici, mais le but même. Le
mouvement contre la loi est l'occasion et les confrontations avec la
police, dépassée, le moyen d'amener plus de monde à l'insurrection
visée : faut dire qu'il n'y a rien de tel qu'un nuage
lacrymogène fou soutenu par les discours politiques du 20h pour te
radicaliser un pacifiste …
D'autre
part, l'idée que la politique est avant tout une « bataille
culturelle » amène la mise en place d'un grand nombre de
stratégies de promotion d'idées qui marquent bien une volonté
offensive de transformer la société, mais en transformant les
esprits par des méthodes non-insurrectionnelles.
On
peut les classer ensuite en fonction de leur localisation, de
leur « extension géographique ». C'est sans doute là où
les mots que j'employais étaient les plus gratuits, même si cet
outil de classement me semble encore utile. « Certaines luttes
n'existent qu'en fonction d'un lieu à investir, occuper, organiser
et défendre et en dehors de ce lieu, nulle lutte ne pourrait espérer
tenir ni réussir. On parlera ici de lutte
située, ou centrée (zad). On parlera au contraire de
lutte ubique lorsqu'elle peut se mener n'importe où sans
perte. » Je donnais l'exemple des manifestations contre la
loi-travail mais les gilets jaunes nous montrent bien l'allure que
peut prendre une lutte ubiquitaire contre une loi, on avait en même
temps des occupations de rond-points, des levées de péages, des
manifestations dans les rues des villes, des gilets jaunes en
évidence sur les tableaux de bord des voitures un peu partout en
France. Entre les deux, j'envisageais des espaces de lutte
étendue, « menée dans plusieurs lieux connectés, liés
entre eux, comme les divers sites d'un même groupe », diverses
universités, etc. Enfin, je proposais en passant de les classer en
fonction de leurs domaine,
leur champ d'intervention (social, écologie, économie, travail,
éducation, etc.), objectifs
immédiats
et effets.
Est-ce
pertinent tout ça ? Si on décide d'analyser ainsi l'occupation
d'usine des LIP dans les années 70, qu'en dirons-nous ? D'abord
qu'il s'agissait d'une lutte défensive située dont l'objectif était
d'empêcher la fermeture de l'usine et de défendre les emplois. Il
n'avaient pour cela d'autre choix, à côté des manifestations, que
d'occuper l'usine et de la faire tourner. Mais l'effet a été tout
autre : l'élaboration d'un nouveau mode de gestion et de vie
collective ainsi que sa promotion par le biais de visites, de
reportages et de publications. Les réseaux de soutien, qui font
circuler montres et fanzines, peuvent sans doute être vus comme des
espaces étendus, mais seulement dans le cadre de cette lutte
offensive qui consiste à promouvoir le travail en autogestion et la
démocratie directe au sein des entreprises d'abord et de la société
ensuite. Quand l'usine a finalement retrouvé un patron, l'occupation
s'est arrêtée : la lutte défensive avait trouvé une issue
positive. Quand la crise économique de 74 a commencé à faire
sentir ses effets en France, le gouvernement a coulé le groupe LIP
de peur que dans les entreprises en faillite ou en difficulté,
contraintes de licencier, l'idée germe d'occuper les sites et de les
faire tourner au profit des travailleurs. Ce qui inquiétait, c'était
ce contre-modèle dont la promotion n'avait été qu'un effet de la
lutte mais qui s'était avéré être une réussite, s'était avéré
être viable ; il était important pour le gouvernement de faire
croire au contraire à son échec afin de ne pas faire face à un
tissus d'entreprises autogérées, à une lutte non plus économique
mais politique, étendue, menée depuis un réseau d'usines sans
patron où les ouvriers se seraient formés seuls à la démocratie.
Ça aide à voir qu'il y a eu là deux luttes différentes en tout
mais dont l'une, avortée, d'un genre plutôt « bataille des
idées », est l'effet direct d'une lutte économique aux
objectifs précis et limités.
Convergence conjoncturelle et convergence structurelle
Je
distribuais le reste de l'article entre convergence des luttes
défensives et unification des luttes offensives. Mon but était
d'analyser les différentes modalités de convergence et d'en donner,
à chaque fois, un exemple. Peut-être aurai-je dû aussi chercher
des convergences de luttes offensives et des unifications défensives,
mais je ne visais pas l’exhaustivité, juste à commenter les
débats auxquels j'assistais avec un travail conceptuel crédible. Je
sais pas si j'ai réussi mais ça m'a en tout cas permis de me
définir ce qu'est la lutte, je reviendrai dessus à la fin, mais
j'en ai maintenant une vision très étroite.
Pour
le moment, parlons juste de la « convergence multiple des
luttes défensives ». « Qu'est-ce qui justifie le
rapprochement des luttes ? (…) Ce sont souvent des raisons
extérieures, contingentes qui ouvrent à la convergence ; c'est
la bonne occasion, le moment opportun, et on dira cette convergence
conjoncturelle. Cette
conjoncture favorable peut s'étendre de manière restreinte dans un
même domaine d'intervention, on la dira interne,
ou bien réunir des domaines, des extensions distinctes. On appellera
cette convergence plus large transversale. »
L'idée était pour moi d'aller du plus restreint au plus large, en
m'occupant d'abord des unions purement conjoncturelles pour ensuite
aller à celles qui sont structurelles
et donc plus susceptibles de durer et d'amener à une vraie
convergence.
Je
fais de la grève de soutien l'exemple le plus limité de
convergence. La grève de soutien, elle est menée par des
travailleurs qui ne sont pas directement concernés par une
situation, en soutien aux travailleurs menacés. Mais pour qu'elle
puisse se faire, il faut que les grévistes qui viennent en soutien
justifient leur action par des revendications qui les concernent eux.
C'est dire qu'à l'occasion d'une lutte (empêcher des
licenciements), on peut en mener une deuxième dans des entreprises
du même groupe ou de la même branche. Pour l'augmentation du
salaire, l'amélioration des conditions, etc. Sur le même principe,
la grève générale est une extension transversale. Mais le côté
fourre-tout de ces grandes mobilisations pose un problème qui est
plus que théorique : les luttes s'y superposent et se
concurrencent, il n'y a en fait de convergence que des militants et
pas du tout des luttes. Les conflits logiques ou éthiques y sont
inévitables : peut-on à la fois manifester pour l'écologie et
pour défendre les emplois dans les filières polluantes ? Les
grandes manifestations générales de 2016 nous imposaient pourtant
chaque semaine ces sortes de casuistiques. Pire, en raison des
« thèmes porteurs » ou des « urgences du
moments », certaines luttes étaient passées sous silence au
double motif que certains thèmes sont plus rassembleurs et
permettent de faire masse, alors qu'évoquer trop de choses
différentes en même temps rendrait les discours et les positions
trop confuses, menaçant la cohésion. On comprend évidemment ce
genre de décision stratégique : ça montre cependant la
faiblesse, quoi qu'on en pense, de ces alliances purement
conjoncturelles. Ce qui nous pousse à réduire le concept de
convergence des luttes aux seules convergences structurelles.
Convergence permise par une « nécessité interne fonction d'un
objectif clairement fixé » en vue duquel des militants
agissant dans divers domaines peuvent agir conjointement. Autant dire
que la convergence ne peut pas être un mot d'ordre général ou la
convergence de « toutes les luttes ». La convergence de
toutes les luttes ne peut être qu'une unification de ces dernières.
Unification des luttes offensives
Au
fond, tout le monde a le même objectif, dès lors qu'on envisage de
près ou de loin participer à une lutte : rendre le monde
meilleur. D'une manière moins creuse, sans doute pourrait-on dire :
supprimer les inégalités et l'exploitation, la domination des uns
par les autres, quelle qu'en soit la nature. C'est dire qu'au moins
sur un objectif assez vaguement exprimé, les divers domaines de
lutte peuvent être réunis et parler un même langage. Domination
des femmes par les hommes, de la nature par l'homme, des travailleurs
par les capitalistes, etc. Nuit Debout, c'était ça : des gens
qui se disaient que si on se réunissait tous, vu qu'on voulait tous
changer le monde, on allait avoir une chance de le faire. Que comme
tout le monde était en lutte contre quelque-chose, tous réunis, ils
en viendraient peut-être à bout. Sauf que ça ce ne sont pas des
luttes. On ne lutte pas contre une domination, mais contre une
situation de domination. « Lutter contre la domination »
est un cadre global, une utopie qui guide mais pas réellement une
lutte. Toujours de nouvelles situations de domination, d'inégalité
apparaîtront, les formes de dominations se transformeront et c'est
pourquoi il n'y a pas de lutte sans un objectif précis, aussi limité
soit-il, et pourquoi toutes participent d'un même mouvement, toutes
contribuent par leurs effets à lutter contre les dominations. Mais
c'est un effet, non le but, et c'est une manière de saisir
l'ensemble des luttes en un même mouvement. Peut-être aussi un
moyen de se dire que tout ça mène quelque part et cette pensée est
évidemment nécessaire.
Les
luttes peuvent s'unifier par leurs effets, en contribuant à changer
les rapports sociaux et les mentalités, mais elles ne le peuvent pas
dans leurs objectifs, qui sont fatalement amenés à se
concurrencer : j'ai lu récemment un article dont l'autrice
montrait bien sa difficulté à être tout à la fois féministe et
écologiste : soucieuse de faire par elle-même produits
sanitaires et de soin, elle se retrouve à assumer seule cette tâche
à la maison et à y consacrer un temps considérable, comme une
maîtresse du logis dévouée corps et âme à son foyer. Ce qui la
dérange dans sa fibre féministe. Le seul moyen que l'on aurait
éventuellement d'unifier ces luttes idéales serait de dire qu'au
fond toutes les luttes combattent non pas seulement dans un but
lointain identique, mais contre un ennemi commun, unique source de
tous les maux de la société. Cela on l'a déjà dit, c'était
l'idée anticapitaliste de base, qui se poursuit encore aujourd'hui,
qu'on en accuse le capitalisme, le néolibéralisme ou qu'on donne à
tous les maux une explication économique. S'il semble à peu près
évident que les problèmes écologiques sont causés d'abord et
avant tout par le capitalisme, tant et si bien qu'il n'est pas
interdit de voir, dans une conception marxiste traditionnelle, la
crise écologique comme la dernière crise systémique du
capitalisme : être écolo ne serait-ce pas une sorte d'erreur
de calcul, ne faudrait-il pas être simplement anticapitaliste dans
ce cas ? À l'inverse, si l'inégalité de salaire et la « taxe
rose » articulent bien sexisme et domination économique,
peut-on pour autant donner une origine économique à tous les
problèmes rencontrés et combattus par le féminisme ?
Conclusion
Je
réduis le terme de lutte à l'effort pour agir sur une situation
concrète ou sur un élément précis donné, afin de le maintenir ou
de le transformer. J'insiste sur le caractère précis et limité des
objectifs pour distinguer ces luttes des projets plus vastes
(l'égalité, la paix dans le monde, etc.). Peut-on faire converger
ces luttes ? Difficilement : massifier en réunissant les
foules disparates s'avère insatisfaisant, mais certaines luttes par
contre permettent d'unir les efforts de militants engagés dans des
projets différents (anticapitalistes, féministes, écologiques,
etc.). Mais cette convergence, certes structurelle, est malgré tout
limitée à cet effort commun et à la situation précise sur
laquelle il s'agit d'intervenir. Penser une convergence définitive
et totale des luttes, c'est en fait exiger une fusion de celles-ci,
ce qui n'est possible qu'à la condition hautement improbable de
désigner pour toutes un seul et unique ennemi.
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