vendredi 30 novembre 2018

TOOL, 10 000 days (2)


Donc l'homme est mauvais par nature, pire que Naughty by Nature, qui chantait en son temps « everything is gonna be alright », c'est dire à quel point ils étaient méchants. C'est pour cela qu'il a tant de plaisir à voir souffrir les autres. Il faut bien l'avouer, il est profondément infect avec ses semblables, à tel point même qu'il en devient difficile de savoir pourquoi est-ce qu'untel persiste à vivre en société, c'est-à-dire à se rapprocher des gens qu'il déteste tant pour vivre et échanger avec eux, principalement des insultes, principalement dans les embouteillages le samedi soir avant d'aller s'enfermer dans un supermarché bondé de gens infréquentables, acheter des cadeaux à des enfants qu'il souhaite voir partir le plus vite possible. Incompréhensible.


Cette nature, il nous faut bien la traquer, vu toutes les absurdités dans lesquelles elle nous jette. On pense immédiatement à cette nature purement physique, qui nous ravale au rang de simple animal et aligne notre comportement sur celui des êtres les plus rudimentaires, sur celui de nos ancêtres, qu'on le situe dans nos gènes, dans un cerveau reptilien, dans un atavisme comportemental ou que sais-je encore. C'est sans doute vers cela que les dernières paroles de la chanson Vicarious font signe. Elle replacent l'homme au sein du règne animal et tendent à fonder le comportement humain sur les logiques du comportement animal.

Credulous at best
Your desire to believe in angels in the hearts of men
But pull your head on out your hippie haze and give a listen
Shouldn't have to say it all again
The universe is hostile
So impersonal
Devour to survive
So it is, so it's always been
We all feed on tragedy
It's like blood to a vampire
Vicariously, I live while the whole world dies
Much better you than I

Risquons-nous à une traduction non littérale et partielle : « au mieux, ta volonté de croire à tout prix que l'homme est fondamentalement bon est crédule (au pire stupide?), mais sors donc-toi l'esprit de tes délires fumeux de hippie et écoute-moi bien, car je ne le répéterai pas. L'univers est violent, et c'est pas parce que t'es sympa qu'il va t'épargner. Il faut dévorer pour survivre, c'est comme ça, ça l'a toujours été. On se nourrit tous de la mort des autres. »
Cela fait écho à ce qui est écrit au chapitre 3 de la biographie de Maynard James Keenan, « A perfect union of contradictory things », écrite par Sarah Jensen. Il a été traduit en mai aux éditions Camion Blanc, mais dans l'original voilà ce que ça donne :

« Clipper and trowel in hand, Jim watched chipmunks and squirrels approach from beneath bushes and brush, wary at first, then bravely scampering toward Mike, their tiny black eyes intent on his face as he crouched and extended his hand. They ate the seed he offered, then darted back to their hidey-holes beneath the peonies. 
"It was my first exposure to the consciousness of nature", he would later recall. "It wasn't like the animals were hanging out and talking to us. It was all based on survival, on forgoing fear in order to eat, the natural process of the earth" »


Ce qui laisse supposer qu'il affirme bel et bien ce qui est dit dans Vicarious, que ce sont, si ce n'est celles du groupe, au moins les convictions de Maynard, qui se trouve là en accord avec Darwin, qui employait l'expression « struggle for life » dans un sens très large, parfois métaphorique, même si pas aussi métaphorique que Maynard, qui pousse loin. Même s'il ne semble pourtant rien faire d'autre que paraphraser agressivement l'auteur de « L'origine des espèces » :

« Rien de plus facile que d'admettre la vérité de ce principe : la lutte universelle pour l'existence ; rien de plus difficile—je parle par expérience—que d'avoir toujours ce principe présent à l'esprit ; or, à moins qu'il n'en soit ainsi, ou bien on verra mal toute l'économie de la nature, ou on se méprendra sur le sens qu'il convient d'attribuer à tous les faits relatifs à la distribution, à la rareté, à l'abondance, à l'extinction et aux variations des êtres organisés. Nous contemplons la nature brillante de beauté et de bonheur, et nous remarquons souvent une surabondance d'alimentation ; mais nous ne voyons pas, ou nous oublions, que les oiseaux, qui chantent perchés nonchalamment sur une branche, se nourrissent principalement d'insectes ou de graines, et que, ce faisant, ils détruisent continuellement des êtres vivants ; nous oublions que des oiseaux carnassiers ou des bêtes de proie sont aux aguets pour détruire des quantités considérables de ces charmants chanteurs, et pour dévorer leurs œufs ou leurs petits »

On croirait lire une analyse de l'épilogue de Blue Velvet, quand Jeffrey est dans la cuisine avec Sandy et sa tante horrifiée du spectacle, à regarder un rouge-gorge dévorer un scarabée. Certes, dans le film, cela signifie que l'amour a triomphé du crime et de la perversion, mais on ne peut se déprendre de l'idée aussi qu'il s'en nourrit, d'où la répulsion de la tante, ignorante de tout ce qui s'est passé dans la vie de de Jeffrey et de Sandy, qui eux expriment plutôt de la sérénité ou de la joie. Ils ont surmonté l'horreur, on eu à se battre pour survivre, on dû affronter ce qu'il y a de plus immonde en l'homme et leur amour n'en est sorti que plus fort d'être né dans une telle adversité.


« _ I can't see how they could do that … I could never eat a bug.
_It's a strange world isn't it? »

Mais Darwin va encore plus loin en affirmant que tout être amené à se reproduire doit de toute façon mourir, que pour qu'une espèce survive, même, certains de ses représentants doivent nécessairement mourir sous peine de menacer la survie de tous. Principalement par manque de nourriture. On se nourrit ainsi, littéralement et au second degré, de la tragédie. De la mort des uns, des autres et des nôtres. Ce qui compte, c'est d'être le dernier debout. Très exactement ce que dit la chanson. D'où l'idée que l'on se sent plus vivant en regardant les autres mourir : cruellement mais concrètement, cela assure une meilleure qualité de vie en réduisant la concurrence pour les ressources, cela assure aussi une meilleure position dans la lutte pour la reproduction étant donné que cela écarte des prétendants. Mais cela ne justifie pas l'exaltation du personnage et n'explique que la toute fin de la chanson, non le début. Plutôt que de n'envisager la nature humaine que comme une nature animale et atavique, faudrait-il plutôt la considérer plus généralement comme une nature passionnelle et affirmer que si l'homme est mauvais par nature, ce n'est pas seulement à cause de la compétition dans laquelle il est entraîné pour la survie, mais aussi parce qu'il est poussé par ses passions mauvaises à se réjouir du malheur des autres, à y trouver du plaisir.

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